Aussi prolifique qu’ait été la carrière de Yasujiro Ozu avec plus d’une cinquantaine de métrages en à peine une trentaine d’année, triste est de constater que la plupart de ses oeuvres de jeunesse comme Le sabre de pénitence ou encore Épouse Perdue ne soient aujourd’hui tout simplement plus accessibles. Mais s’il y a bien un film qui a su résister à l’épreuve du temps et qui est aujourd’hui visionnable dans des conditions très correctes, c’est Chœur de Tokyo, sorti en 1931 au Japon.
Aborder l’œuvre globale du réalisateur aujourd’hui, c’est comprendre un pan entier du cinéma japonais et de ses fondations aussi contemplatives qu’extrêmement engagées. Aborder Chœur de Tokyo, c’est comprendre l’essence du cinéma d’Ozu, avant même que le son ne vienne vous aider. Car oui, si le métrage est muet, il est aussi dénué de musique comme la plupart des œuvres nippones de l’époque. Il ne faut pas pour autant croire que le film s’en retrouve dénué d’intérêt, le cinéma de son cinéaste apparaissant ici plus pur, dénué d’artifices, mais terriblement comique et tragique.
Cette force de divertissement, on la doit à l’énergie que déploie Ozu pour animer son récit par des efforts de rythme beaucoup plus significatifs que dans ses autres oeuvres, plus mélancoliques. Le récit de cet ancien élève perturbateur devenant un employé modeste avant de se faire licencier et de lutter contre l’injustice de sa société se retrouve ici magnifié par une mise en scène sublime. Celle-ci alternant entre de jolis plans fixes, véritables terrains de jeu pour des acteurs très talentueux (Tokihiko Okada est superbe) et des travellings d’une rare technicité pour l’époque, rendant hommage à cette capitale du chômage que représente ce Tokyo.

Comme d’habitude dans le cinéma d’Ozu, les relations familiales sont au cœur du récit, et principalement la figure paternelle. Si elle est d’abord évoquée dans la courte introduction du film entre le professeur et l’élève, elle prend tout son sens quand l’élève devenu chômeur rentre chez lui, non pas avec le vélo promis à son fils, mais avec une trottinette. À partir de ce moment, le père n’est plus le maître du logis, mais un menteur, qui doit se reconstruire en retrouvant du travail dans cette ville énorme où tout le monde en cherche.
Une œuvre tragique en somme mais qui arrive à tirer son épingle du jeu en proposant une véritable réflexion sur la société japonaise et les limites de son système de travail, réflexion déjà abordé dans son court-métrage J’ai été diplômé, Mais… sorti deux ans plus tôt. Empruntant beaucoup au comique de la satyre américaine (principalement Chaplin mais aussi Buster Keaton), le film n’en oublie jamais d’être cynique et touchant dans le combat qu’il porte à l’écran.
Vous l’aurez compris, si Chœur de Tokyo est sûrement une œuvre mineure de son auteur, elle n’en reste pas moins un film sur lequel il semble évident de se pencher, tant elle est empreinte d’une grande modernité qui permet une porte d’entrée passionnante pour quiconque a déjà eu la volonté de pénétrer ce cinéma nippon aussi mutique que combattif.
Choeur de Tokyo, de Yasujiro Ozu. Avec Tokihiko Okada, Emiko Yagumo, Tatsuo Saitô… 1h30
Film de 1931, Sorti en France en DVD et Blu-Ray le 6 novembre 2019