Dure et sévère est la période post Sexe, Mensonges et Vidéo pour Steven Soderbergh. Des projets étranges aux yeux des critiques, diversifiés, et des échecs commerciaux pour un cinéaste qui trouve difficilement un public et une ligne directrice. Mais s’il y a bien une récurrence chez Soderbergh c’est cette manie de toucher à tout, et d’imprégner de sa patte chaque univers. Jusqu’à des métrages qui tombent dans l’oubli le plus profond, malgré l’étincelle proposée par un Kafka de toute beauté, mais incompris. Puis en 1998, Hors d’atteinte fait surface, Soderbergh renoue avec un succès modeste mais salvateur, et replace son nom sur le devant de la scène avec une comédie policière dont il a les ingrédients.
Hors d’atteinte est le pur résultat d’une commande de studios. En 1995, Barry Sonnenfeld (Men in Black) tient les rênes de Get Shorty : Stars et Truands avec John Travolta dans le rôle-titre. Une adaptation d’un roman d’Elmore Leonard, qui obtient son petit succès en salles. Danny DeVito décide alors d’acheter les droits de Out of Sight, une autre œuvre du romancier américain, qu’Universal Pictures se charge de mettre en forme. La société contacte Steven Soderbergh, qui a déjà travaillé sur deux projets pour le studio, et lui impose George Clooney comme premier rôle, alors encore vedette bellâtre et panseur de blessures de la série Urgences. Ce seront les débuts d’une relation fructueuse et amicale entre le cinéaste et le comédien. Pour Hors d’atteinte, Soderbergh ne s’occupe que de la réalisation. Son acolyte Cliff Martinez est remplacé par le DJ David Holmes à la musique, et Scott Franck (Le Jeu de la Dame) écrit les lignes du scénario.
Jack Foley est un cambrioleur séducteur, adepte des braquages en douceur et du charme pour arriver à ses fins. Après un nouveau casse, il se fait attraper par malchance et moisit derrière les barreaux d’un Pénitencier en Louisiane. Prenant connaissance d’un projet d’évasion, il décide de se faire la malle avec l’aide de l’un de ses complices resté à l’extérieur de la prison. Le soir venu, le marshal Karen Sisco, présente sur les lieux, cherche à s’interposer dans l’évasion avant de se faire kidnapper. C’est dans le coffre d’une voiture que Jack et Karen font connaissance, et le coup de foudre fait surface.

Il ne faut rien attendre de mirobolant, de renouveau artistique, de mise en scène d’une invention folle, mais une qualité, celle de proposer un divertissement agréable et bien mené. Il n’y a parfois rien de pire qu’accoler l’étiquette divertissement sur un film, laissant penser que le vide intérieur se cache derrière la forme mise en avant. Mais dans la société spectacle à l’américaine, le cerveau n’a par moments que la simple utilité d’allumer un chouïa de neurones et de concentration pour suivre une histoire amusante qui ne demande pas plus de réflexion qu’un montage fluide, une énergie de l’ensemble, une cohérence globale, et un générique de fin qui vient conclure le tout. Pour ça, la recette Soderbergh fonctionne. Hors d’atteinte ressemble aux prémices du cinéma Soderberghien de braquages légers (trilogie Ocean’s), qui captent sur une distribution bien garnie de personnages et qui allient l’humour, l’ironie, au sérieux du polar popcorn. Une performance à la cool qui permet à la fois de redorer l’image d’un cinéaste au creux de la vague, en y injectant une légère vision d’auteur dans un produit accessible et calibré pour satisfaire le grand public. Une déconstruction narrative qui vient imbriquer astucieusement des flashbacks au centre d’un récit, mené tambour battant pour cacher avec intelligence ses faiblesses et sa confusion ambiante. L’art du tempo et du bon rythme, confirme qu’il y a un réalisateur derrière, et pas un Bot programmé pour appuyer binairement sur les touches d’une caméra.

L’autre gagnant s’appelle Georges Clooney, qui trouve sa voie en gentleman looser sorti d’une machine Nespresso en panne. Le genre chic mais gauche, charmant mais pas toujours fut-fut. Fade, mou, mais qui compte sur son physique séduisant pour faire chavirer les cœurs et engager une carrière solide à l’écran. Jennifer Lopez ne peut succomber, et dans le coffre d’une voiture, collée au Clooney’s style, la magie s’opère et le trappe-trappe du policier contre voleur redevient so glamour. J-Lo prouve sa faculté à étoffer son jeu, et comble de l’étrange, Michael Keaton vient faire un caméo en Ray Nicolette, offrant quelques points de connexion avec le Jackie Brown de Tarantino, autre adaptation d’un roman de Leonard.
Hors d’atteinte est une sympathique comédie policière qui fait passer le temps, offre une amourette de l’impossible entre un duo complice, et n’a d’autres ambitions que décrocher quelques sourires et jouer son rôle d’instant récréation. Ce n’est pas un Steven Soderbergh au sommet de son talent, mais un moyen de lui redorer son image et de lui laisser le champ libre à sa création. Pour aller encore, un peu plus en hauteur.
Hors d’atteinte de Steven Soderbergh. Avec, George Clooney, Jennifer Lopez, Don Cheadle, Ving Rhames… 2h02.
Sorti le 02 décembre 1998.
[…] sur un lit d’hôpital, et un montage qui déconstruit la linéarité temporelle comme dans son Hors d’atteinte… Des incursions visuelles et quelques trouvailles de mise en scène qui témoignent d’une […]