Tiens, regarde copain, t’as vu la pépée là-bas au bout du bar ? Elle y est pas allée mollo sur la boisson. Franchement elle a l’air chaude, puis attends, si elle s’est lâchée sur la tise ce soir, c’est qu’elle cherche, elle a envie de pécho ! Tu peux y aller, elle te dira pas non, les meufs défoncées adorent les bons chevaliers, t’y vas tranquille, tu l’aides à sortir, sûr elle te pompe dans le Uber. Puis t’es pas bien frais toi non plus, t’as bu, elle a bu, balle au centre. Sérieux ce soir c’est ton soir, si t’y vas, t’es notre champion. T’en fais pas, à part nous, personne le saura, elle aura pas bien envie de le crier sur tous les toits.
Visiblement, le retour de bâton n’est pas encore assez fort, alors on en remet une couche. Cette fois‑ci, espérons qu’elle fasse mal.
On ne le dira jamais assez, la libération de la parole est la meilleure chose qui soit arrivée aux victimes d’abus sexuels, et à toute la société par extension. Ce qui se passe habituellement sous silence sort au grand jour, les témoignages affluent, et si les têtes ne tombent pas encore (pas assez, du moins), on sent que ça commence à moins faire les malins du haut des tours d’argent. Les porcs s’en sortent toujours bien, mais au moins, tout le monde est au courant, et dans le siècle où le culte à l’image est roi, accumuler des casseroles commence à faire mauvais genre. Manquerait plus que la justice s’en mêle correctement, mais n’allons pas trop vite en besogne, le chemin est encore long sur ce point. Que ce soit dans les tribunes publiques, à la radio, dans les textes de morceaux influents, et, pour ce qui nous intéresse, au cinéma, les œuvres affluent, le sujet est mis au grand jour, et ça gueule. Selon certains, un peu trop. Pour nous, jamais assez.
Promising Young Woman nous conte l’histoire de Cassie, qui a pour occupation de flâner dans les bars branchés, de jouer l’ivre morte et de se faire ramener par le premier prédateur qui passe par là, avant de le tailler en pièces. Elle utilise l’intimidation et la reprise de contrôle pour contrer celui qui pensait être maître de ses actions et qui, apeuré, se retrouve à réfléchir à ce qu’il représente. Une méthode dont on peut douter l’efficacité, tant nombre d’hommes considèrent juste que leur pote est tombée sur « la folle du bar », mais qui permet à Cassie d’affronter ses démons et de lutter, vaincre son trauma que l’on nous dévoile à mesure que l’intrigue avance. On découvre une femme brisée par la vie, qui s’est fait le chevet d’une amie victime de viol, et qui a perdu toutes ses perspectives, personnelles comme professionnelles, là où les agresseurs s’en sont sortis avec les honneurs. En somme, un schéma classique.
Une expérience traumatique qui resurgit par le biais de retrouvailles, et qui apporte à Cassie tant une bouée d’espoir qu’une volonté cathartique, celle de faire éclater au grand jour cette histoire qu’elle semble être la seule à ne pas avoir oubliée. À la manière d’une Lady Snowblood, la déesse vengeresse prend une autre forme, et il temps d’aller d’étape en étape semer des graines dans les esprits des fautif·ve·s, que ce soit les acteurs immédiats du viol, que celleux qui par leur silence et leur validisme ont fait taire les plaintes, ont refusé d’écouter, et sont tout autant responsables des conséquences et répercussions sur les victimes. Une principale de faculté qui a encouragé la carrière scolaire du violeur, un avocat qui l’a défendu en connaissant pertinemment sa culpabilité (campé par un Alfred Molina touchant dans son désespoir, unique repentir bien maigre face aux événements), des schémas archétypaux et systémiques qui font partie de strates que l’on connaît bien et qui, comme on le voit ici, sont difficiles à contourner.
Car si Promising Young Woman offre par son ton, son héroïne iconisée, son travail sur l’ambiance et les musiques – on ne se remettra jamais de cette incroyable reprise de Toxic de Britney Spears – un aspect ludique, qui joue des codes du rape and revenge et nous promet maintes effusions de violence, la justesse prend le pas. Cassie moralise, elle n’attaque pas, et les rares moments où elle cède à sa colère montrent qu’elle se contient, ne veut pas devenir ce qu’elle dénonce. Une cassure dans la mise en scène, à mesure que le personnage se dévoile et commence à abandonner ses obsessions pour se tourner vers sa reconstruction, s’opère. Emerald Fennel s’éloigne ainsi des codes dont elle se revendique au premier abord pour traiter de son sujet plus subtilement, celui de la névrose humaine, et de ces victimes qui se retrouvent à assumer le trauma et la charge mentale quand le monde autour d’elles avance dans l’indifférence des actions passées.

Pourtant, après une nouvelle déception – malheureusement prévisible mais qui nous aura fait espérer –, Cassie repart vers son idéal de vengeance, et on la comprend. On l’accompagne dans la prise de conscience que sa plaie ne peut être cautérisée qu’une fois son but initial accompli. Mais dans cette volonté de nous offrir ce climax qui nous fera lever le poing et hurler à la victoire, Emerald Fennel biaise son dénouement, et son propos. On entrevoit un final fataliste, celui qui montre que tant qu’ils sont hommes et que le système est avec eux, les coupables se sortent de toutes les situations, et sont couverts. Le/la spectateur·ice sortirait alors énervé·e, avec une envie de frapper dans les murs, mais surtout de dénoncer, de gueuler, de déranger encore plus fort. Alors quand la fin propose une nouvelle conclusion, plus « heureuse », donnant l’impression d’une justice qui finit par l’emporter, le/la spectateur·ice sort conquis·e, ce twist ayant servi son fantasme d’un monde meilleur. Et le propos se retrouve desservi par le même ressort. La scène est loin d’être mauvaise, bien au contraire, et on prend plaisir à la savourer, mais on aurait préféré une note plus amère. Plus réaliste.
Promising Young Woman fait du bien. Dans la poignée de films mettant en avant les victimes d’abus sexuels, il se place aisément en haut du panier. Un métrage qui n’hésite pas à aller frontalement dans son propos, sans jamais hésiter à heurter la zone de confort des plus réticents aux idées progressistes et égalitaires. Les discours qui hurlent à la « misandrie », qui déclarent qu’ici, « aucun homme n’est à sauver », et trouvent les situations exagérées, entre les propos entre copains dans les bars, dans la rue, etc., devraient lire plus souvent des témoignages de victimes et réaliser que c’est à peine exagéré, si ce n’est pas du tout. Carey Mulligan est impériale, porte le poids d’un empowerment avec brio, et devient un symbole qui, on l’espère, donnera l’envie aux plus silencieuses de parler. De continuer à libérer la parole, de proposer des œuvres fortes sur un sujet qui sera toujours brûlant tant que les choses n’auront pas changé. De gueuler. De déranger.
Promising Young Woman, d’Emerald Fennel. Avec Carey Mulligan, Alison Brie, Bo Burnham… 1h54
Sorti le 26 mai 2021
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