Tandis que Méandre fait son petit bonhomme de chemin avec des critiques positives (comme celle de Nil Antonietti, ici), nous avions eu la chance de rencontrer Mathieu Turi par écran interposé durant le BIFFF. Entre Aliens, cinéma de genre français et importance de festival, il a su nous offrir un entretien aussi passionnant que son long-métrage.
Quelle était l’idée de départ derrière « Méandre » ?
C’est venu principalement car je voulais faire un film concept. Je me suis souvenu d’une scène dans Aliens de James Cameron. C’est une scène où il ne se passe rien de réellement horrifique. On a Bishop qui rentre dans un long tuyau et il doit crapahuter jusqu’à une antenne. Je me rappelle que lorsque j’ai découvert ça, j’étais terrifié qu’il y ait un alien qui surgisse devant ou derrière. Et en fait non, il ne se passe rien. Je pense qu’inconsciemment, cela a beaucoup aidé. Je me suis rappelé de cette scène et je me suis dit que ce serait sympa de faire tout un film là-dessus mais un film de SF, quelque chose qui rappellerait par exemple Cube – dont on parle beaucoup, ce qui est normal. Mais ce que je trouvais intéressant, contrairement à Cube, c’est d’être placé dans une position totalement inconfortable et de ne pas pouvoir se relever. Je trouvais cela terrifiant d’être placé dans une espèce de terrier. Très vite, quand j’ai écrit cela, qui aurait pu être une idée de court-métrage et que je devais faire attention vu qu’on était dans un truc concept, j’ai mélangé avec ça les idées du deuil et des épreuves psychologiques en plus des épreuves physiques. Je me suis dit qu’il y avait un bon mix à faire et tout est parti de là.
Comme Hostile, il y a justement cette notion d’enfermement qui fait transcender l’émotion de la protagoniste et fait exploser ses sentiments. C’est important pour toi d’utiliser le décor pour faire éclater les émotions de ton héroïne ?
Au départ, c’est une idée de budget. J’ai écrit Hostile, Méandre et un troisième film (qui ne sera pas mon prochain et sur lequel je travaillerai plus tard) en tant que trois potentiels premiers films. Quand tu sais que c’est ton premier film, que tu es en France et que le genre dans le pays, ce sont des budgets qui vont jusque maximum 3 millions, tu n’écris pas Star Wars (rires). Du coup, ça ramène forcément très vite à des idées de huis clos ou quelque chose qui se passe dans une maison… En fait, cela ne doit pas être la seule raison donc tu cherches comment étendre ton univers. Dans Hostile, c’était avec les flash-back. Je trouvais l’aller-retour intéressant et différent, histoire de faire autre chose qu’un autre film classique post-apo déjà vu. Sur Méandre, il fallait aller au bout de cette idée concept en faisant quelque chose en mouvement, contrairement au huis clos où tu es supposé rester coincé. Nous sommes dans un décor claustro mais où elle est obligée d’avancer tout le temps, de progresser en permanence sinon elle meurt. J’étais intéressé par ce côté huis clos mais en mouvement perpétuel.

De ce que je vois sur Twitter, tu es très inspiré par les jeux vidéo…
(léger blanc presque malaisant puis rires) Oui, complètement !
Ok, super ! Je trouve justement qu’il y a un côté ludique dans le film, au delà du traitement du deuil, qui passe entre autre par le traitement des couleurs. On est dans quelque chose d’hyper reconnaissable et instinctif. Était-ce bien une intention de départ ?
Oui, il y a eu un vrai travail sur la couleur, sur même l’inspiration jeux vidéo. C’est un truc qui se mélange. On a fait un gros travail avec le chef opérateur sur ce bracelet. C’est lui qui est venu avec cette idée après m’avoir écouté. Je parlais de Lisa comme une étincelle dans l’obscurité et ça lui a parlé tout de suite. Il m’a proposé de faire toute la lumière avec le bracelet. Il a donc fallu le fabriquer et ça m’a ouvert plein d’idées. Je me suis demandé si on pouvait le changer de couleur par exemple dans une logique très jeux vidéo. Quand ta santé baisse, tu passes du vert au orange puis au jaune et au rouge. Ce ne sont pas les couleurs en question mais quand elle est en danger, le bracelet clignote en rouge, sur le cadavre il est un peu vert bleu, sur elle il est jaune… Tu as des codes de jeux vidéo qui reviennent ainsi très très vite dans l’imagerie et ça se traduit effectivement par les couleurs, par ce côté de repasser des épreuves jusqu’à ce qu’on y arrive, etc. Je suis un gros fan d’Hideo Kojima par exemple. J’avais eu la chance de le rencontrer grâce à Hostile car quand mon film est sorti au Japon, il l’a beaucoup aimé. Il a voulu qu’on échange donc on le fait depuis et je trouve ça toujours hallucinant quand je reçois un MP sur Twitter par exemple. Quand je lui parlais du film pendant sa création, il m’a envoyé des petits courts-métrages, des trailers en me disant que cela pourrait m’inspirer. J’hallucinais de cet échange mais c’est la magie de ce milieu. Le bracelet peut faire penser à celui de Death Stranding. Je suis un gros fan de Metal Gear Solid, casser le quatrième mur et ses autres tentatives. Dans le film, il y a des secrets et des petits trucs cachés qui permettent d’avoir une interprétation différente de certains moments. Peut-être que les gens les trouveront ou pas mais c’est un truc que j’aime bien faire.
Tu parlais avant du cinéma de genre français et des budgets limités. Toi qui représentes une nouvelle vague de cinéma de genre français qui revient dans les salles, quelle image as-tu de celui-ci ?
Hostile a été tourné avant que Grave ne sorte et pour le coup, c’est le film de Julia Ducournau qui nous a permis de relancer quelque chose pour plein de raisons en plus. J’ai vu la différence entre monter Hostile et Méandre. Tu sens qu’il y a une envie de genre en France depuis Grave, ce qui a mis forcément un peu de temps. Aujourd’hui, on se retrouve avec une dizaine de films de genre français qui arrivent entre Teddy, La nuée, Ogre, les deux films d’Alex Bustillo et Julien Maury, tu as le film de Zoé Wittock Jumbo, … C’est plein de trucs hyper différents et encore, il y a plein d’autres films qui arrivent. Il y a une vraie envie de genre qui se concrétise par des films. L’envie, c’est bien mais le fait d’avoir pu les faire, c’est génial. Je pense que c’est dû à une génération de producteur·ice·s, de financier·e·s, de distributeur·ice·s, etc. qui ont les mêmes influences quand on leur parle. Ce sont des gens qui ont grandi avec Spielberg et Cameron, qui comprennent un peu plus ces codes là que la génération d’avant ou encore avant. L’arrivée des plateformes a foutu un gros bordel et c’est toujours bon pour les créateur·ice·s car forcément, cela fait plus de guichets, c’est un bouleversement des codes, des fonctionnements et même si ça fait peur – car ça fait toujours peur quand un cinéma aussi puissant et fort que le cinéma est poussé dans ses retranchements -, cela nous permet de faire plus de choses. Je crois que ce mélange-là, en plus des promos Fémis qui ont donné des films comme Grave, permet une reconsidération du cinéma de genre et une ouverture à quelque chose qui ne peut qu’aider. Il y a beaucoup de films à notre échelle, l’échelle du film de genre, où on était dans nos meilleures années entre trois et quatre films par an. Ici, il y en a une dizaine cette année et une dizaine l’année prochaine. C’est super.

Est-ce que tu penses que des festivals de genre comme le BIFFF peuvent aider à mettre en avant des titres pas assez marketables ?
J’irai même plus loin. Pour l’avoir vécu avec Hostile, on est sur un film qui a eu une sortie internationale et en France mais sur quelques copies. Il ne devait même pas sortir à la base, c’est un petit distributeur qui nous a approché après. On a fait de super ventes avec Hostile grâce aux festivals qui nous ont accueillis, récompensés mais surtout, au-delà des prix et des sélections, nous ont permis d’être partagés à un public international. Il faut savoir que c’est quand même fou quand tu fais tes petits films dans ton coin et que tu te retrouves dans un festival. Bien sûr, avec le Covid, c’est compliqué. Je n’ai toujours pas pu voir le film en salle avec un public. Autant te dire que le BIFFF, sa qualité numéro un, c’est son public de fous/folles furieu·ses·x et que c’est frustrant de savoir que chaque fou/folle furieux·se est chez lui/elle. Mais c’est déjà super et cela nous aide énormément. Il y a des films qui sont trouvés par les festivals, qui les sortent de l’anonymat et les exposent. On ne parle pas assez je trouve, quand on parle de faire un film, de l’importance des festivals. Ici on parle de films de genre et de festivals à l’international mais des festivals plus grand public comme Cannes font vivre des cinéastes et des carrières. Question bête mais est-ce que la puissance du cinéma coréen serait venue jusqu’à nous sans le travail de festival ? Je n’en suis pas sûr.
C’est vrai qu’Old Boy à Cannes a permis d’ouvrir une porte.
Je pense que c’est un vrai travail. Et c’est un travail pour les voir, pour les croiser en festival, sur les marchés. C’est un travail non-stop qui s’étale sur l’année, d’un marché à l’autre. Je trouve que cette année, des festivals comme le BIFFF qui ont le courage de dire « tant pis, on va faire un truc, ce sera différent mais on va le faire », alors qu’ils pourraient encore l’annuler et ce ne serait pas de leur faute, je trouve que c’est courageux de leur part. Nous, l’air de rien, si un festival n’a pas lieu une année, c’est dur mais c’est une année, il en fera d’autres. Nous, on travaille deux ans sur un film en pensant aux festivals, lequel en premier, lequel en dernier, par rapport à la sortie, etc. C’était prévu par exemple qu’on fasse le Fantastic Fest quand il devait être « normal », l’édition classique. Quand ça a été annulé, on a été… Heureusement qu’il y avait SITGES pour relancer le film. J’en profite pour les remercier tous, notamment au BIFFF, d’être là.
D’un point de vue personnages, il y a cet homme qui représente une forme de figure bestiale et violente au fur et à mesure du récit. Comment as-tu développé cette idée ?
En fait, toujours avec la même idée que je ne voulais pas que ce soit un simple enchaînement de pièges, je voulais matérialiser le deuil qui la poursuit, cette boule de haine et de culpabilité qu’elle n’arrive pas à faire disparaître, de façon physique. C’est quelque chose qui n’est pas révolutionnaire et est apparu dans plein de films. Tu prend Alien par exemple, l’alien représente énormément de choses. Je sais qu’il y a eu des reproches sur la scène finale d’Alien, le fait qu’elle soit en culotte, alors qu’elle est fragile et que lui représente une forme de sexualité un peu malsaine. On connaît le travail de Giger. Mais cette forme de symbolisme, sans me comparer à Alien ou à Ridley Scott (rires), cette manière de matérialiser, c’est un truc qu’on peut faire dans un film de genre. L’exemple le plus classique, c’est les zombies. On te dit que dans les grands films de zombies, comme les Romero, ça représente la société, ça représente beaucoup de choses. Je trouve ça génial que dans le genre, ce soit fait mais également étudié et accepté par les spectateur·ice·s que le genre permette de parler de nous de façon très imagée, plus peut-être que d’autres genres de cinéma. Cela permet de le faire de façon divertissante mais avec un propos. Il y a une logique avec ces personnages, cela ne vient pas de nulle part et ça symbolise quelque chose.
Quels sont tes futurs projets ?
Évidemment, je ne peux pas exactement parler mais je peux donner de petites bribes car je bosse sur plusieurs choses en ce moment. La réception du film a enclenché beaucoup de choses. Mon troisième film, je ne peux pas dire ce que c’est, mais ça va changer des deux premiers. C’est toujours dans le genre mais ce n’est plus une femme seule mais une bande de mecs dans un milieu particulier. Ça se passe en France à une certaine époque, je ne peux pas en dire plus mais c’est un film de bande avec pas mal d’inspirations différentes. Ça reste du genre , il y aura une bestiole, il y aura des choses, etc. Mais ce sera très très particulier et je pense que je n’aurais pas pu faire ça avant. Après, je travaille sur d’autres long-métrages en écriture, qui sont signés… mais je ne peux pas dire ce que c’est. Je travaille sur une adaptation de jeu vidéo mais je ne peux pas dire ce que c’est non plus (rires) parce que ce n’est pas encore fait mais ça devrait être annoncé bientôt. Il paraît aussi que je travaille sur une adaptation de BD française dont je ne peux pas non plus dire le titre mais qui est un très très gros truc, ça peut être fait vite ou en 5 ans. J’ai la chance ainsi d’avoir plein de projets et avec la bonne réception autour de mon style et de Méandre, je bosse beaucoup et j’ai hâte d’en parler.
Méandre de Matthieu Turi.
Sorti le 26 mai 2021