Présenté au sein de la sélection Un certain regard du dernier Festival de Cannes, Lamb, de Valdimar Jóhannsson, à l’image de The Innocents réalisé par Eskil Vogt (autre long-métrage issu des Pays nordiques), s’est démarqué des autres films de cette même catégorie grâce à un traitement chirurgical de l’esthétique du silence et du vide.
Au sein de ce film racontant l’histoire du couple composé de Ingvar (Hilmir Snær Guðnason) et de Maria (Noomi Rapace), éleveurs de moutons, le réalisateur isole ses personnages afin de mieux les exposer. Les plaines islandaises s’étendent à perte de vue, mais n’inculquent aucunement un sentiment de liberté. Bien au contraire, ce trop vaste paysage exclut Ingvar et Maria de tout contact humain extérieur, ne les laissant ainsi se complaire qu’au sein du rapport qu’ils entretiennent l’un à l’autre. De plus, leur relation est entachée de non-dits suite à la perte, en amont de la diégèse créée par le film, de leur enfant. L’écho à cette perte douloureuse se fait ressentir dans la naissance d’un agneau pour lequel le couple fait preuve d’une réelle affection immédiate. Lamb est donc à la fois un film sur le deuil, la perte, mais également sur la naissance, sur la tentative de reconstruction d’un modèle familial récemment détruit.
Après une carrière américaine bien remplie, et s’étant dernièrement contentée de films distribués sur diverses plateformes, Lamb sonne, pour Noomi Rapace, tel un retour aux sources au sein de son Islande natale. Découle, de ce pas dirigé par l’actrice vers son passé, la recherche d’une nouvelle forme de jeu. C’est dans la simplicité, par le biais d’un jeu peu nuancé mais toujours juste, que Noomi Rapace parvient à nous rappeler qu’elle fût autrefois la Lisbeth Salander de la folle série suédoise Millénium. La solitude qu’elle éprouve dans le rapport qu’elle entretient avec son mari est ressentie, chez le spectateur, par le vide qui entoure le couple, et plus généralement les personnages du film dont le nombre ne dépasse jamais quatre au sein d’un même cadre. L’absence de vie y est également sonore. Le couple ne s’adresse que très peu la parole et, dès que nous nous éloignons du troupeau de moutons présent aux abords de leur maison, c’est un silence de plomb qui domine les plaines qu’arpentent Maria et Ingvar.

Le quotidien du couple et de leur agneau est cependant bousculé par l’arrivée de Pétur, le frère de Ingvar, personnage auquel le spectateur serait, en temps normal, censé s’identifier. Celui-ci amène, effectivement, une forme de rationalité au sein de ce foyer. Cependant, autant pour les deux personnages principaux du film que pour le spectateur, cette dernière n’est pas la bienvenue. Elle ne l’est pas pour Ingvar et Maria car ceux-ci sont à la recherche de quelque chose de perdu, d’un sentiment envolé pour lequel ils seraient prêts à abandonner toute normalité. Le spectateur, quant à lui, refuse la venue de cet élément cherchant à lui faire entendre raison, tout simplement car Pétur arrive trop tard. L’empathie éprouvée, particulièrement pour le personnage de Maria, prend le dessus sur tout sentiment de logique.
Parfois comique, souvent tragique, Lamb est, autant de par sa forme hybride à la croisée des genres que par le sujet qu’il traite, un film qui se bat contre le fait de mettre les choses dans des cases pré-établies. L’absurdité de certaines situations se détache de la dramaturgie générale du long-métrage et laisse les spectateurs perdus, ne sachant plus où rire et quand éprouver de la compassion. Cette perte de repères est ici intentionnelle, et devient même la force majeure du film de Valdimar Jóhannsson. La naissance de cet agneau est-elle un cadeau ? Une malédiction ? Le fruit du destin ? En réalité, peu importe. La renaissance d’un espoir que suscite cet événement éclipse tout vœu de recherche de logique. Lamb partage l’idée que la différence n’est pas un défaut et que l’acceptation de l’autre, tout comme l’acceptation de soi, est un pas en avant nous amenant vers une compréhension plus large de ce qui nous entoure.
Lamb de Valdimar Jóhannsson, avec Noomi Rapace, Björn Hlynur Haraldsson, Hilmir Snær Guðnason… 1h46
Sortie le 15 décembre 2021