Cinq ans après le succès de son premier long-métrage en tant que réalisatrice, The Virgin Suicides, Sofia Coppola présente son nouveau film, centré autour de deux personnages aussi seuls que perdus dans leurs vies respectives. Lost in Translation, mélange une bonne grosse crise existentielle, beaucoup de verres de whisky, l’ambivalence d’un Tokyo plus vivant que jamais et une perruque rose iconique qui détonne dans le calme serein d’un couloir d’hôtel. Et si denombreu·ses·x cinéastes se sont déjà penché·e·s sur des personnages esseulés, personne ne l’a fait comme Sofia Coppola.
On suit ici l’histoire de Bob et Charlotte. L’un est une ancienne star de cinéma qui se retrouve à faire des pubs pour une marque de whisky afin de se faire de l’argent et de fuir son épouse, l’autre une jeune diplômée en philosophie, mariée à un photographe qui la délaisse. Tous deux sont perdu·e·s, désespérément seul·e·s, incertain·e·s de la direction que prend leur vie et ce sont les murs impersonnels d’un hôtel et les rues animées de Tokyo qui les réunissent.
Non, Lost in Translation n’est pas un film d’amour. Le lien qui unit les deux protagonistes est tout sauf romantique. On parle ici de deux personnes incomprises par leur entourage, seules et perdues, qui reconnaissent quelque chose chez l’autre, quelque chose de familier : le reflet de leur propre situation. Aucun d’entre elleux n’avait jamais rencontré quelqu’un qui les comprenne aussi bien alors qu’avec les autres, iels doivent faire semblant, semblant d’être intéressé·e·s, d’être présent·e·s comme dans cette scène où Charlotte est au bar de l’hôtel avec son mari et deux amis. Physiquement, elle est à la même table qu’eux, mais son esprit est trop loin pour qu’ils puissent l’atteindre et cette distance se ressent dans la subtilité des plans qui s’efforcent toujours d’isoler Charlotte, soit en l’excluant du focus, soit en la séparant d’eux par l’ombre subtile d’un serveur. Elle est discrète et effacée et ce n’est qu’au moment où elle aperçoit Bob quelques tables plus loin qu’elle s’anime : les misfits se reconnaissent entre elleux.

Cette relation si spéciale entre les deux personnages se caractérise également par son aspect éphémère. Le/la spectateur·ice est pleinement conscient·e, et ce dès que les deux personnages se rapprochent au moyen de sourires gênés, que rien de tout cela ne va durer. Ces quelques jours à arpenter les rues de Tokyo et les couloirs de leur hôtel sont les seules bribes d’intimité qu’iels vivront ensemble, la parenthèse dorée où iels oublieront leurs doutes et leur solitude avant de revenir à la réalité. Tout cela se caractérise par le plus beau moment du film où Charlotte (interprétée à la perfection par une Scarlett Johansson de 17 ans) dit à Bob, alors qu’iels se trouvent au sommet d’un gratte-ciel à contempler la ville de Tokyo, pleinement consciente de la fugacité du moment : “ne revenons jamais ici ; ce ne sera jamais aussi amusant.”
Le choix de la ville de Tokyo est très parlant. En effet, à plusieurs reprises dans le film, nous pouvons apercevoir Bob ou Charlotte observer la ville du haut de leur chambre d’hôtel. Les plans sont ternes et larges de manière à ce que les deux personnages, absolument seuls et vulnérables, soient noyés dans l’immensité urbaine comme ils le sont au milieu d’une foule. Mais dès qu’iels se rencontrent et qu’iels commencent à passer du temps ensemble, leur univers s’illumine au même titre que la cinématographie : l’image prend un aspect rêveur, presque irréel, comme ce que ce sont en train de vivre les personnages, jusqu’à ce baiser d’adieu entre deux âmes qui, pendant un moment, ont trouvé un semblant de confort côte à côte. Puis on rembobine, les choses redeviennent telles qu’elles étaient : grises et ennuyeuses, le fameux ennui qui caractérise les personnages de Sofia Coppola.
Ce sont tous ces ingrédients réunis qui font qu’on aime toujours autant Lost in translation, 17 ans après sa sortie. L’histoire de Bob et Charlotte est intemporelle parce qu’un jour ou l’autre, nous nous retrouvons tous dans cet état d’esprit et la solitude enchaînée au corps. Et comme Marilyn Monroe le disait si bien dans Gentlemen Prefer Blonds (les réf, les rèf) : “c’est une chose terrible que d’être seul, surtout au milieu d’une foule !”
Lost in translation, de Sofia Coppola. Avec Scarlett Johansson, Bill Murray, Anna Faris… 1h45
Sorti le 7 janvier 2004