En compétition au Festival Francophone d’Angoulême, nous voyions dans les premiers concurrents Une histoire d’amour et de désir, qui conte l’éveil de l’émoi adolescent et de la première découverte des corps. Tel un contrepoids absolu, Rose parle de la redécouverte de ces mêmes sensations, de celles qui nous assiègent alors que l’on pense que notre vie touche à sa fin, et que nos derniers jours ne réservent plus la moindre surprise. La fête, l’émotion, l’ébriété, le désir et l’amour se retrouvent également au quatrième âge.
Le glas tombe lorsque personne ne s’y attend : le mari de Rose décède d’un cancer dont elle n’était pas informée, faisant s’écrouler un monde d’acquis. Elle se retrouve aux prises avec ses enfants, dont elle n’a jamais été proche, et se laisse dépérir, persuadée que la vie n’a plus de place pour une femme âgée. Pourtant, au détour d’une soirée, elle rencontre une autre personne de sa génération qui se permet tous les excès – Michèle Moretti, toujours aussi électrisante –, s’autorise un joint, le verre de vodka qu’elle a toujours refusé, et c’est le déclic. Plus rien ne pourra entraver ses désirs de vie. Alors Rose sort, rencontre, s’incruste dans des soirées, ose accepter la drague d’un homme plus jeune qui la trouve attirante : elle vit, au grand dam de ses enfants qui y voient soit une preuve de sénilité débutante, soit une provocation évidente pour celle qui n’assume plus son “rôle” de mère et veut juste s’assumer femme. Vivre pour elle, et ne plus être aux petits soins de celleux qui, à leur âge, ne devraient plus avoir besoin d’elle.

Pour nous interpréter cette réappropriation des sentiments, des droits au désir, le choix de Françoise Fabian est d’une pertinence sans rare égale. Cette incarnation d’une classe absolue offre à Rose une palette de choix, permettant de passer par les étapes du deuil et de la renaissance. Elle-même plus âgée que son personnage – l’actrice en a 88 alors que Rose 78 –, Françoise Fabian ne cache aucune émotion, laisse la pudeur peu à peu disparaître, pour se rendre maîtresse de son rôle. Un portrait qui fait souvent penser à celui de Daniel Prévost pour Les petits ruisseaux, où ce vieil homme qui n’a plus rien à perdre décide de fuir vers sa vie. Des instants d’une beauté complète, où l’on suit Rose dans ses nouvelles aventures, faire des choix souvent bons, parfois exagérés, jouer avec le danger et les risques habituellement réservés à la jeunesse. La caméra ne suit qu’elle, illustre ses émois, ses éclats, ses déceptions, toujours avec discrétion et pudeur, laissant en hors champ les jardins secrets. Les séquences redoutées – la scène d’amour avec Pascal Elbé en tête des appréhensions – se retrouvent sublimées par cette pudeur, celle qui fait de la suggestion un attrait certain.
Portrait entier qui vaut surtout pour l’interprétation de son actrice principale, Rose est aussi accompagné de rôles secondaires convaincants, notamment Aure Atika et Grégory Montel. Des personnages abrupts, qui représentent tant d’obstacles pour cet épanouissement que d’atouts formels. Ils s’inquiètent, moralisent, mais surtout essaient de comprendre cette métamorphose. La description du milieu familial, ancré dans les traditions juives, ajoute un poids supplémentaire, tant pour le rôle sacralisé de mère que Rose ne veut plus accomplir, que pour les diverses barrières qu’elle s’est elle-même imposée par tradition ou pour cette vie cachée derrière son mari qu’elle a mené nonchalamment.
Avec Rose, Aurélie Saada choisit un milieu précis mais propose un récit universel : celui de ne jamais vieillir, ne jamais considérer que sa vie est terminée tant que l’esprit permet d’entrevoir d’autres possibles. À 88 ans, Françoise Fabian démontre que sa palette d’actrice n’a jamais été aussi vive, et embrasse ce constat à corps ouvert. Une belle leçon de vie, qui est aussi vive que ces récits adolescents, tant que la volonté, et les désirs, sont toujours là.
Rose, d’Aurélie Saada. Avec Françoise Fabian, Aure Atika, Grégory Montel… 1h42
Sortie le 8 décembre 2021