Dans une période où les divisions critiques se ressentent de plus en plus par le partage d’avis sur Internet, les longs-métrages de M. Night Shyamalan constituent peut-être le sommet de la pyramide du clivage cinématographique grand public ou n’en sont du moins pas loin. Après une longue période vue comme de disette où le réalisateur a connu de nombreux revers dans le domaine, son retour aux sources avec The Visit puis le succès plus fort de Split et Glass ont redoré les lettres de noblesse d’un réalisateur trop souvent décrié. La sortie de Old aurait pu permettre d’appuyer son statut de metteur en scène sur le retour du traitement fantastique mais la scission d’avis par rapport à ce dernier ne fait que renforcer l’écart entre fans et détracteur·ices
Il y a quand même de l’intérêt dans cette adaptation de la bande-dessinée Le château de sable, rien que la promesse de son scénario ne pouvant qu’intriguer. Une plage, des inconnu·es et du temps qui passe encore plus vite qu’à l’accoutumée. Le jeu de tension se développe dans cette crainte d’une temporalité renforcée, soulignant les craintes par rapport à un futur qui arrive trop fort, trop vite pour réellement pouvoir l’appréhender. La nature du décor renforce alors un renfermement physique qui confère au malaise, tel qu’appuyé par la mise en scène une fois les personnages installés dans les lieux, à force de décadrages et de gros plans. Ces derniers étouffent autant les spectateur·ices que les protagonistes, le tout permettant de mieux créer ce rapport dans les enjeux d’un temps qui s’égrène trop vite.

Dans un acte rappelant la nature fictionnelle de l’intrigue, M. Night Shyamalan s’insère dans le film comme chauffeur qui amène les personnages vers cette destination quasi finale. Cet aspect méta, perpétuant l’hommage à Hitchcock dans l’exercice de caméo, ramène à un microcosme de fiction qui sonne perpétuellement faux. Les dialogues des personnages et la nature outrée dans l’interprétation de certain·es ramènent à un grotesque qui ne peut encore une fois que diviser mais ramène à la nature figée de cette recréation de société. Cela se ressent dans une caractérisation qui rappelle les métiers de chacun·e pour mieux se distinguer ou faire appel à une légitimité dans le secteur pour mieux orienter un enjeu de classes en fond. On peut aussi rappeler cette séquence où deux enfants jouent à une dispute de couple devant des parents proches de la séparation, amenant à un cycle froid dans ses mécaniques sociales.
C’est dans cet instant que se développe la partie la plus passionnante de Old : cette allégorie d’un temps qui passe et détruit tout sur son passage, même les fondements les plus institués, pour mieux en faire ressortir les regrets dans les actions et dans les craintes d’un avenir de plus en plus incertain. Il est dommage que le film se close dans une dernière partie surexplicative qui met de côté tout cet aspect sentimental pour en rappeler au thriller fantastique initial. C’était dans cette poésie grotesque de départ puis affective que se dessinaient les traits d’un grand film qui semble aspirer à une représentation d’imperfection de masse pour mieux en dessiner quelque chose de franc et sincère, notamment dans cette scission dans le jeu des acteur·ices entre adultes et enfants.

Comment dès lors statuer sur pareil long-métrage, affecté dans tous les sens par le style reconnaissable visuellement et narrativement de son auteur ? Old se fait ainsi surprenamment moins passionnant dans sa partie thriller que dans son véhiculement de doutes sur le rôle du temps et sa nature absolument annihilatrice. Jouant de ses aspects extravagants jusqu’à une direction d’acteur·ices marquée par le grotesque pour mieux en révéler une forme de sincérité dans ses meilleurs moments, c’est une œuvre filmique bien trop divisée dans ses intentions pour tout accomplir mais dont la représentation quasi métatextuelle de ses imperfections se fait prégnante avec charge et inquiétudes.
Old de M. Night Shymalan avec Gael Garcia Bernal, Vicky Krieps, Rufus Sewell…1h48
Sorti le 21 juillet 2021