On aime bien les films qui sortent de l’ordinaire. Qui s’éloignent des sentiers battus pour proposer quelque chose d’unique, quelque chose qui vient s’imprimer sur la rétine pour ne plus nous lâcher. Alors que Sam de Jong a déjà présenté ses deux premiers films du côté de la Berlinale, c’est à Rotterdam qu’il fait sa grande première avec son troisième long-métrage Met mes, une fable acide qui a de quoi remettre les idées en place.
Eveline est une personnalité connue du monde de la télévision puisqu’elle présente un jeu télévisé très suivi, une sorte de Motus où deux équipes s’affrontent pour deviner un mot. Sauf qu’Eveline en a marre de son boulot et décide de le quitter, elle qui aspire à une meilleure carrière journalistique. Son nouveau projet ? Un “portrait chaleureux et attachant de la société” et notamment des quartiers afin de lui donner une autre image que celle que les médias ont l’habitude de diffuser. Enthousiasmé par cette idée, son mari lui offre une caméra et la voilà partie affublée d’une tenue faite de baggy, de bottes et de bagues dentaires comme pour essayer de mieux s’immerger dans le lieu. De son côté, Youssef est un jeune homme qui, comme tou·tes les adolescent·es, cherche à s’intégrer. Pour cela il doit trouver LA paire de lunettes qui fera fureur. Avec son meilleur ami Redouan, ils tombent sur Eveline et sa valise contenant sa fameuse caméra. Un petit tour de passe passe et ils arrivent à s’en emparer sans faire usage de la violence. Lorsqu’Eveline se rend compte de ce vol, elle se rend au commissariat pour le déclarer. Mais pour faire jouer l’assurance (et être prise au sérieux par la police), elle ment et affirme avoir été menacée avec un couteau. Youssef se retrouve coincé dans un engrenage alimenté par sa condition précaire.
Met mes est surprenant à bien des égards. Sans donner d’indication quant à sa temporalité, il semblerait qu’il soit coincé entre un style ultra rétro des années 80 mais aussi dans quelque chose d’ultra futuriste. Les couleurs ne sont même plus flashy à ce stade, elles sont juste saturées au possible avec des tenues plutôt ringardes, des eye-liners verts fluos et des coiffures qui provoqueraient un AVC à n’importe quel coiffeur digne de ce nom. De ce fait, le film s’inscrit dans un axe plutôt comique avec ces personnages sortis d’un autre temps et ses situations. Mais derrière son apparence drôle et survoltée, c’est un aspect bien sombre de notre société qui fait surface. Pourquoi Eveline, qui a tout ce qu’elle veut et jouit d’une position privilégiée de par son travail et sa couleur de peau, voudrait aller filmer les banlieues ? De prime abord, on peut se dire que c’est un travail journalistique comme un autre mais au fur et à mesure – et notamment lors des séances de derush) on comprend qu’elle fait ça par pur sensationnalisme, chercher le plan qui fera pleurer, la musique qui viendra bouleverser le/la spectateur·ice, etc. Une mise en scène faite avant tout pour que les gens se souviennent de son nom.
Youssef quant à lui ne veut qu’une chose, une paire de lunette triangulaire à la mode pour faire comme les autres. Son meilleur ami lui propose de l’aider à voler la caméra d’Eveline en échange de ce graal lui permettant d’être enfin comme les autres. Le voilà écroué pour quelque chose qu’il n’a pas commis. Eveline refuse d’avouer qu’elle a menti mais la culpabilité la ronge à tel point qu’elle décide de reprendre la caméra pour enfin révéler la vérité. Sauf que l’attrait du sensationalisme n’est jamais pas loin, quitte à tabler sur un pauvre gamin qui, de par sa condition sociale – son meilleur ami s’en sort sans encombres grâce à ses parents riches et influents -, se retrouve emprisonné à tort. Tout est bon pour faire de l’audience. Quand Youssef sort de prison il faut le poursuivre jusque chez lui pour filmer ses premiers pas en tant qu’homme libre tout en n’oubliant pas de bien s’asseoir sur le lit pour capter la bonne lumière qui rendra bien à l’image.
Met mes contraste fortement entre ce qu’il montre et ce qu’il démontre. Comme si la société actuelle n’était qu’un vaste jeu télévisé où tout ce qu’il faut c’est faire du buzz, des vues, divertir le/la spectateur·ice au détriment des autres. Sam de Jong nous bouscule, nous pousse à la réflexion malgré les rires. On rit à gorge déployée avant de rire jaune, de comprendre que rien n’a bougé, les riches sont à l’abri, les pauvres paient les pots cassés. Pire que ça, les riches en profitent pour se faire de l’argent sur le dos des plus pauvres. Fable politique sous acide, Met mes est une proposition osée à bien des égards.
Met mes écrit et réalisé par Sam de Jong. Avec Hadewych Minis, Shahine El Hamus, Nils Verkooijen… 1h19