Dans la famille des comédies adolescentes, on demande l’original. Si Heathers fait partie des précurseurs d’un genre aujourd’hui surexploité et qui n’est plus que l’ombre de ce qu’il était, le film reste aujourd’hui toujours aussi innovant, plus de trente ans après sa sortie en salles. Pas de blagues potaches, d’histoires légères ou de happy ending dans une œuvre qui choisit plutôt de traiter des vrais problèmes adolescents comme le suicide, le harcèlement ou la violence du côté de l’humour noir, pour un résultat délicieusement drôle et mortellement divertissant.
Le synopsis ne diffère pas d’autres classiques du genre, du moins en apparence : nous sommes à Westerburg High, un petit lycée de campagne dans lequel les Heathers, trois jeunes filles ayant le même nom, font régner la terreur chez leurs camarades. Veronica Sawyer (Winona Ryder) fait péniblement office de quatrième roue du carrosse jusqu’au jour où elle fait la connaissance de Jason Dean, que tout le monde appelle JD, un garçon aux penchants violents qui l’entraîne dans une spirale meurtrière.

Contrairement à d’autres films du genre où le lycée se veut comme un endroit niche, Westerburg High est une sorte de mini-société avec ses tyrans et ses marginaux·ales, une reprise miniature d’un collectif malade et, comme dans toute société, nous retrouvons des “idéalistes”, représenté·es en l’occurrence par la personne de JD, probablement le personnage le plus approfondi du film, qui représente par excellence cette figure du marginal poussé à bout. Au début du film, la violence qu’il a en lui est encore modérée, même si on peut facilement la voir s’exprimer face à deux de ses camarades qui le harcèlent. Ce n’est qu’au moment où il tue Heather Chandler (la “cheffe” du clan des Heathers) que toute la brutalité en lui se déchaîne. Ce choix n’est pas anodin : JD a appris de ses parents que la seule réponse à l’oppression et aux injustices du monde était la destruction (son père travaille sur des chantiers et a détruit un immeuble dans lequel se trouvait sa femme…) mais il se refuse à cette issue par crainte des représailles. Comme tout adolescent, il teste constamment les limites et lorsqu’il voit qu’aucune de ses mauvaises actions n’est punie, il se croit invincible et perd la tête.

La qualité d’écriture du film se reflète également dans la relation entre JD et Veronica dont la dynamique (toxique au possible) est claire : il l’aime autant qu’il la hait, parce qu’elle est la seule qui prend la peine d’essayer de le comprendre et parce qu’il ne parvient pas à la contrôler comme il le souhaite. C’est précisément ce manque de contrôle sur son environnement qui le fait sombrer dans la folie et le pousse à tenter de faire sauter son école. Là où JD, derrière ses discours faussement nihilistes, est au point de non-retour dans son évolution, Veronica fait le chemin inverse : elle abandonne la colère qui l’habite et se laisse aller au simple fait d’avoir 17 ans et de ne rien contrôler autour de soi. Car finalement, chacun·e de ces adolescent·es se bat à sa manière contre son impuissance dans le monde et les seul·es qui s’en sortent sont celleux qui se font à cette idée, comme le montre l’évolution de l’ancienne terreur du lycée Heather McNamara, similaire à celle de Veronica.
La direction artistique suit l’idée derrière le film. On vise ici l’iconisation par les stéréotypes : Veronica est une copie fade des Heathers représentées comme étant “parfaites”, JD est l’archétype de l’étudiant mystérieux et renfermé sur lui-même et on ne compte plus les costumes clichés de cheerleaders et footballers. Tout cela vient étayer cette impression de mini-société, où chacun·e s’efforce de contrôler son apparence afin d’affirmer sa place dans la communauté. Les acteur·ices viennent étayer ce tableau : tou·tes excellent·es mais Christian Slater en JD et Winona Ryder en Veronica ressortent du film comme en étant les deux révélations, brillant chacun·e de sarcasme et de noirceur dans leurs rôles respectifs.

Dans le genre du film adolescent, peu ont su jongler entre noirceur et comédie avec autant de brio que Heathers. Aussi comique que tragique, violent que ridicule, le film aborde les névroses adolescentes avec justesse et gravité tout en parvenant à garder une certaine distance vis-à-vis de ses personnages qui ne sont en réalité que des enfants perdu·es et malheureux·ses essayant de trouver un sens aux choses qui n’en ont pas. Et malgré toutes les adaptations en série ou en comédie musicale, le film original, de par la puissance de son scénario et le talent de ses interprètes, reste encore à ce jour inégalé.
Heathers de Michael Lehmann. Écrit par Daniel Waters. Avec Winona Ryder, Christian Slater, Shannen Doherty… 1h43
Sorti le 31 mars 1989