Ce 6 avril est sorti La nuit aux amants, premier long métrage de Julien Hilmoine, s’étant frayé une distribution très discrète dans quelques salles. Passion, émotions, beaucoup de promesses sont au programme, mais hors de certaines beautés formelles, le film s’enfonce dans un registre gênant, aux représentations problématiques, malgré la sincérité d’un réalisateur qui tente d’aborder la complexité de ses sujets avec bienveillance.
Lorsqu’Axelle retrouve Yohann après plus d’une décennie, c’est dans des circonstances particulières. Bizuté par ses ami·es pour son enterrement de vie de garçon, ce dernier se retrouve enchaîné sur les bords de la Corrèze, à Tulle. Dès les premiers regards, les émotions d’Axelle surviennent. Ce garçon, elle l’a connu, aimé, et le retrouver lui procure tant un sentiment de plaisir que de désespoir. Sa proposition se veut simple : avant que Yohann ne rentre dans les rangs d’un mariage aux valeurs “classiques”, les deux retrouvé·es s’offrent une nuit, pour goûter une première et dernière fois au fruit défendu ensemble, et conserver un beau souvenir commun. Yohann, qui par sa nature volage et par le sentiment que le mariage vers lequel il se dirige par convention ne lui convient pas, accepte, et rejoint l’appartement de la belle, prêt à lui offrir son corps, et à recevoir le sien. Mais des démons, plus intérieurs encore, interagissent à leur tour, et ce qui s’annonçait comme une simple partie de jambes en l’air sans attaches prend une tournure plus profonde.
Aux premiers abords, La nuit aux amants se veut le récit d’une rencontre, d’une romance improbable teintée d’adultère, qui élimine le caractère immoral par sa façon de se concentrer sur son duo principal. La future épouse trahie n’est qu’évoquée, et jamais montrée, même lorsque les deux se montrent des photos. Ce qui nous importe, c’est de savoir si le couple éphémère consommera son désir. Alors que la soirée va bon train, Axelle bloque, refusant la pénétration avec vigueur. La véritable thématique du film se dévoile, son héroïne souffre de vaginisme, de nombreux traumas la poussant dans cet exercice de séduction extrême, elle qui se met en danger par son refus de dernier moment. Il s’agit alors pour le duo de surmonter cet état de fait, de rassurer Axelle pour qu’elle finisse par accepter, surmonter sa frayeur, et d’une certaine manière, se reconstruire. Et c’est précisément à partir de cet instant que le film perd pied, s’enfonce dans une méconnaissance folle de son sujet, et ne retrouve plus la moindre subtilité.

On a vu les premiers ressentis qualifier La nuit aux amants de film pornographique. Il est difficile de donner tort à ces dires, même si le résultat se veut plus nuancé, jouant de l’érotisme de ses scènes. Malheureusement pour la parité visuelle, La nuit aux amants ne décide de dénuder, avant un bon moment, que son personnage féminin. Sexualisée à outrance – on pense au passage “Baise-moi comme une pute”, qui vient après les révélations, éclats de compréhensions entre les deux, et n’avait nul besoin de se retrouver là si ce n’est pour filmer une fois encore Laura Muller cambrée et suggestive –, le male gaze dérange, et ne va que dans un sens. Lorsqu’il est question de montrer Yohann nu, c’est pour s’amuser, dans une scène de course poursuite montrant la complicité du duo. Un corps masculin jamais érotisé, caché avec pudeur lors des scènes de sexe, là où le féminin est outrancier, la caméra n’hésitant jamais à s’attarder. Il reste certain que même dans des conditions paritaires niveau retrait de vêtements, le regard caméra ne changerait pas son point de vue. En témoigne la scène de sexe enfin accomplie, où le couple s’ébat en levrette, lui caché derrière le corps de sa partenaire, pendant qu’elle, malgré son tee-shirt, donne bien plus au regard quant à son corps, la caméra n’hésitant pas à s’attarder sur les claques qu’elle reçoit sur les fesses. Le parallèle intéressant, celui de montrer une femme à l’aise en apparence, qui utilise son corps pour enfermer son amant dans une emprise qui cache sa souffrance, souffre de cette vulgarisation, doublée d’une écriture qui peine à suivre. Le récit se veut salvateur, traiter de celle qui a un dernier démon à expier avant de pouvoir repartir de l’avant, mais n’oublie pas de tomber dans la vulgarité pour offrir un climax excessif, long – là où un acte, dans la séquence précédente, offrait une issue plus douce, où les deux personnages se retrouvaient parfaitement –, où cette même personne est bafouée, offerte sous le prisme d’un voyeurisme exaspérant.

Avec des dialogues rarement crédibles, La nuit aux amants pourrait presque mériter sa réputation de mauvais porno. Sonnant faux, accompagnés d’une direction mettant les acteur·ices à l’amende lorsqu’il s’agit de déclamer, ils desservent le propos, et l’alourdissent lorsque ce dernier est au cœur des échanges. Un long moment de silence, l’intrigue doit avancer, et une phrase sortie de nulle part, comme l’annonce d’une rupture de séquence, vient troubler le moment que l’on savoure. Car c’est au final dans ses silences, et sa recherche formelle, que le film parvient à proposer sa meilleure partition. Son maigre budget ne se remarque pas tant la photographie met à l’honneur cet appartement dont on découvre peu à peu les pièces cachées, comme autant de tiroirs qui n’attendent que les révélations, et le rapprochement des personnages, pour se dévoiler. Quelques plans travaillés qui rassurent, détonent du caractère grossier des autres éléments, et surtout ces silences qui apportent la grâce que l’on aurait aimé voir omniprésente. Dans le silence d’une partie de jeu vidéo, dans des longs moments où les corps gisent, allongés, laissant le temps virevolter avant de reprendre les débats oraux, on ressent des instants suspendus, qui laissent entrevoir un potentiel. Des qualités indéniables, malheureusement bien maigres face aux remarques évoquées plus tôt, et des détails bien trop importants à relever vu leur sujet de fond pour considérer que ces beautés leur apportent un quelconque pardon.

Pour sa première proposition, Julien Hilmoine ne fait pas couler la meilleure encre. Son sens esthétique, plaisant au demeurant, ne peut effacer un discours qui, s’il veut parler d’accomplissement féminin, d’expiation et de reconstruction, reste un discours masculin, qui ne comprend pas réellement les problèmes de son personnage. Tiraillé·e, le/la spectateur·ice alterne entre l’admiration, succincte, et la gêne, vive, pour conserver un sentiment amer au sortir de la salle.
La nuit aux amants, écrit et réalisé par Julien Hilmoine. Avec Laura Muller, Schemci Lauth… 1h32
Sorti le 6 avril 2022