Lorsqu’on les a découvertes en 2019, Les crevettes pailletées nous ont fait vibrer, au rythme de leur homosexualité décomplexée – bien que cachant d’autres complexes –, de leur défi des conventions et des gay games, fil rouge flamboyant qui les anime, et par extension nous anime. Une équipe combative, prête à tout pour porter haute et fière ses couleurs, et un récit classique d’acceptation qui prend une tournure plus forte par la clarté de son message. Pour cette suite, la même idée est appliquée : une bande-annonce qui fait frémir, tant les homophobes apeuré·es à l’idée de se trouver devant ce condensé queer de haute volée, que par les défenseur·ses de ses chères causes, qui pourraient y voir un ramassis de clichés les desservant. Ces mêmes qui ne doivent ni connaître Maxime Govare et Cédric Le Gallo, ni avoir vu le premier opus, et qui feraient mieux de foncer en salles déflorer leurs préjugés de tous bords.
Décortiqué·es, nous sommes ! Si le slogan de ces chères crevettes n’en a pas ce sens, nous pouvons aussi nous imaginer comme cette peau renfermant l’essence de nos préjugés nous poussant à une homophobie latente, qui se voit éclatée en tous sens au visionnage de cette seconde aventure, plus haute en couleur, mais aussi en émotions. Nous retrouvons notre joyeuse équipe de retour vers les fameux gay games, se tenant cette fois-ci au pays du soleil levant. Manque de pot, la correspondance en Russie est plus longue que prévue, et les voilà bloqué·es chez les soviets. Pays qui ne cache pas son homophobie – on nous y indique que si l’homosexualité est légale, y voir un comportement affilié dans l’espace public est passible d’emprisonnement –, et où chaque coin de rue est un danger pour nos crevettes. Là où certains jouent le jeu de l’enfermement à l’hôtel, voyant la nuit à passer comme un mauvais moment vite oublié, d’autres, notamment Fred (qui de ses propres dires a plus de couilles que ses comparses, un comble pour une femme), ne voient pas pourquoi iels devraient se cacher, et vont au-devant de nombreux ennuis.

Dans ses premiers instants, La revanche des crevettes pailletées s’amuse à remettre en place la structure de son aîné pour mieux s’en détourner. Un nouveau venu dans la bande, ne s’attendant pas à se retrouver dans une équipe de water-polo gay, en la personne de Selim, qui refoule son homosexualité à cause du contexte social dans lequel il a été élevé. On s’attend à la même découverte, au même rejet premier, pour y trouver une acceptation des différences. À la différence que Selim est gay, et doit par conséquent faire son propre chemin vers une auto-acceptation. Une fois l’exposition dévoilée, on réalise que le film abandonne son sujet premier, ou du moins ne le met pas au cœur de son récit comme il le fit pour Mathias, afin de se tourner vers quelque chose de plus dense, et de bien plus militant. Tout ne se déroule finalement qu’en Russie, les gay games japonais n’étant plus que la finalité à atteindre, et ne représentant plus en enjeu, puisque nous avons déjà vu cette histoire – au-delà de la fameuse chorégraphie, véritable intérêt représentatif pour nos protagonistes, dans une séquence chargée en émotions. Plongée dans un territoire bien plus hostile, où l’homophobie est un sport d’état, et où la décomplexion de sa répression nous mène vers des combats bien plus rudes à mener. Au-delà des mâles débiles chassant le gay sur Grindr, qui font écho à la scène de la station-essence du premier film, La revanche des crevettes pailletées choisit de nous montrer l’enfer des thérapies de conversion (version goulag), et un portrait d’une société russe acerbe, excessivement violente. Si l’on pourrait penser à une caricature – et il y en a bien une –, le film n’oublie pas ses nuances, ne présentant pas nos héro·ïnes comme seul·es victime de leur arrivée sur les terres gelées, mais nous montrant aussi les combats locaux, les victimes de meurtres, et la vie cachée qui s’organise, loin des regards d’un état qui ferme les yeux sur les sévices. Une nouvelle ode à la liberté.

Pour comprendre ce besoin libertaire, et à quel point porter ce combat doit aujourd’hui devenir un enjeu commun – il y a d’ailleurs au sein du film un discours quant à l’inclusion des personnes hétéro dans la lutte queer –, le film n’hésite jamais à pousser ses traits. S’il a été reproché aux Crevettes pailletées de ne proposer comme représentation gay que des “folles excentriques et portées sur le cul”, il s’agit de se demander pourquoi cette représentation dérangerait, lorsque nous voyons des personnes affirmées, jamais nuisibles, et dont les combats intérieurs – et ces derniers sont nombreux, offrant un arc à chaque personnage, alourdissant peut-être un poil le récit – peuvent parfaitement se voir le miroir de tout un·e chacun·e, quel que soit notre “bord”. Un instant résume toute l’essence de la proposition : lors d’une discussion entre Cédric et son mari, plus discret, qui regrette l’image que lui donne la bande sportive, ce dernier s’exclame : “Ce sont grâce à des personnes comme elles, qui se sont battues, ont défini, et se montrent sous toutes leurs excentricités qu’aujourd’hui tu as des droits, tu as pu te marier et adopter des enfants. Donc non, jamais elles ne nous feront honte.” Comme il l’a déjà défendu lors de la promotion du premier film, Cédric Le Gallo fait partie de la véritable équipe des Crevettes Pailletées, et n’a pas l’arrogance de vouloir représenter toute la communauté, et tous les caractères, juste celle de parler militantisme en représentant sa bande de copain·ines avec laquelle il a fait les quatre cent coups.

Frais, débordant d’humanité et de bonne humeur, La revanche des crevettes pailletées n’en reste pas moins une plongée dans l’horreur. En nous montrant des régions où les combats à mener sont bien plus rigides, il nous rappelle que la liberté dont l’on peut jouir se doit d’être prise, et que les personnes souhaitant s’affirmer doivent encore plus hurler leur singularité dans les espaces où elles le peuvent, pour inspirer et faire bouger les choses. Classique dans sa narration visuelle, le film ne manque cependant pas de panache, et parvient à contraster le terne de la déchéance humaine, tombant dans ses travers haineux, face à la colorimétrie chatoyante en entraînante de celleux que l’on se plaît pourtant à appeler communément les “déchéant·es”, nous mettant une fois de plus à la gueule la pertinence de nos torts.
La revanche des crevettes pailletées, écrit et réalisé par Maxime Govare et Cédric le Gallo. Avec Michael Abiteboul, Romain Brau, Geoffrey Couët… 1h53
Sorti le 13 avril 2022