Un mois et quelques jours d’écarts séparent la sortie de deux films qui sur le papier sont en opposition totale, mais reflètent au fond d’eux la somme des obsessions de leur auteur. Decision to leave de Park Chan-Wook, prix de la mise en scène à Cannes 2022 d’un côté et Crimes of the future de David Cronenberg de l’autre. L’idée même d’un retour à la source de ce qui caractérise leur art, ce qui a fait leur succès et porte la marque d’un questionnement sur la pérennité d’un cinéma ambitieux et enclin à encore raconter des choses.
Après un passage par le petit écran avec The Little Drummer girl et un western ultra violent laissé sur le bas-côté avec S. Craig Zahler au scénario, Park Chan- Wook a choisi la Croisette cannoise pour son comeback. Projet mystérieux, Decision to leave est présenté comme un thriller policier teinté d’érotisme. Il faut assumer le statut d’un cinéaste qui n’a cessé de convaincre la critique et de laisser son auditoire sur ce qui peut être caractérisé comme l’un de ses meilleurs essais avec Mademoiselle (2016).

Decision to leave se révèle pourtant une déception. En s’inscrivant simplement dans la continuité d’une carrière, le PCW nouveau respire la paresse, et la sensation de tourner en rond pour ne pas raconter grand-chose. 2h18 pour un scénario qui pourrait se conclure en 1h40. Plusieurs fois même qu’on sent une fin pointer le bout de son nez, la montre affiche encore 30 minutes au compteur, puis 20, puis 10…. Impossible de savoir comment mettre un terme aux jeux de pistes, aux retournements qui ressemblent plus à une tentative de vouloir à tout prix prendre le public à revers que raconter quelque chose de simplement beau et percutant. Car les toutes dernières minutes aussi poétiques, saisissantes et sensibles soient-elles, on lâche la rampe et pense déjà au dîner post séance avant même de les recevoir de plein fouet. Cet aspect même de film « trop long » est un symptôme qu’on ne cesse de retrouver actuellement dans l’industrie. Ne plus savoir où couper pour paraître généreux, où correctement rusher, et choisir le bon moment pour stopper son récit pour ne pas tomber dans la surenchère.

Comparer Crimes of the future de Cronenberg et Decision to leave n’est pas un hasard. L’empereur du body horror réalise un testament sur son obsession de nouvelle chair, d’évolution de la société, de la technologie, du corps. En allant plus loin encore qu’avant, réfléchissant à l’après du monde. Park Chan wook choisit le thriller pour repointer le sel de son succès et les principaux aspects et critères qui jonchent sa carrière (une rétrospective complète est disponible sur le site). Une histoire alambiquée, un jeu de pistes constant, un humour noir et la quête d’un amour impossible. Celui même qui rappelle la relation interdite entre deux Corées qui s’opposent (JSA), ou le morbide de vampires qui découvrent leur nouvelle forme et embrassent la vie éternelle (Thirst). La romance se rattache ici à un enquêteur qui tombe sous le charme de la suspecte d’un crime.
Le détective Hae-joon, un insomniaque qui passe le plus clair de son temps a surveiller des gens en planques, est chargé de l’enquête d’un homme mort suite à une chute dans les montagnes. Une occasion de l’occuper et de le sortir de sa routine qui commence à lui peser sur le moral. L’enquête le conduit sur la piste de la mystérieuse épouse du défunt, qui devient la principale suspecte du crime…
Comment ne pas succomber ? Ne pas mettre en péril une enquête au profit d’un coup de foudre ? L’impossible compatibilité entre un policier dans l’exercice de sa fonction, sa conscience et une jeune femme prête à tout manipuler pour s’en sortir. Mettre de côté des principes, sauver l’amour et le désir face à la quête de vérité. Mais après ça que reste-t-il ? Une sorte d’hommage à la Vertigo sans la quintessence hitchcockienne et le vertige procuré. Pas de miracle si ce n’est un brillant duo de comédien·nes, ivres de charisme, qui prennent en épaisseur une fois que le récit décide de se bouger un peu.

Heureusement PCW a du style, beaucoup de style. Quitte à friser parfois l’indigestion et saturer de gras un plat au préalable suffisamment raffiné et délicat, il trouve toujours un nouvel angle de caméra (au travers d’un œil de poisson mort sur le marché), un plan qui détonne, un dynamisme à insuffler. Il manœuvre sa caméra avec une aisance stupéfiante, et fait ainsi passer par l’image l’essentiel de sa renommée. En incluant même des flashbacks à l’intérieur de scènes du présent, il tord la transition et la réinvente. Un principe même qui met la technique comme reine du long-métrage et veut impressionner au détriment du fond et dont il serait dommage de cacher le pied pris devant un virtuose. Mais la quasi esbroufe visuelle tente d’ensevelir la fausse complexité de l’ensemble et la redondance d’un auteur qui s’appuie sur ses acquis et sa facilité.
C’est bien dommage mais si le succès est présent et si Park Chan Wook plait à son public, pourquoi vouloir en faire plus ? L’efficacité de son produit n’est plus à prouver et contrôler. Un prix de la mise en scène pour un cinéaste qui en fait son gagne-pain. C’est logique et espéré, tout en pensant qu’on peut s’attendre à un peu plus de la part de l’un des maîtres du pays des matins calmes.
Decision to leave de Park Chan-Wook. Ecrit par Park Chan-Wook et Jeong Seo-kyeong. Avec, Tang Wei, Park Hae-il, Go Kyung-pyo… 2h18.
Sorti le 29 juin 2022.