782 minutes, plus de 13 heures, c’est ce que représentent, à eux seuls, les neuf épisodes de la saison 4 de la série originale de Netflix Stranger Things. Saison de tous les records, cette quatrième salve d’épisodes est tout d’abord la plus chère de l’histoire des séries télévisées. Avec un budget de 30 millions de dollars par épisode, l’intégralité des neuf chapitres fait grimper le coût de cette saison à 270 millions de dollars, soit bien au-dessus des 90 millions déboursés par HBO pour la dernière saison de Game of Thrones, somme qui semblait pourtant pharaonique au moment de sa sortie en 2019. Cette nouvelle saison de Stranger Things, c’est également 287 millions d’heures de vues dans le monde, en à peine une semaine, pour les 7 premiers épisodes ; série numéro 1 en terme de visionnage dans 83 pays ; l’épisode le plus long de l’histoire de Netflix ; le retour d’un titre des années 1980 propulsé à la tête des charts mondiaux… Le succès de cette nouvelle saison est donc indéniable. Cependant, qu’ont réellement à nous offrir ces neuf épisodes ? Et si ces chiffres n’étaient qu’un écran de fumée cachant un système de production et de diffusion maladroit, altérant la qualité de ce qu’aurait pu être Stranger Things saison 4 ?
1058 jours. C’est le temps qui s’est écoulé entre la diffusion du premier épisode de la saison 3 et le premier épisode de la saison 4 de Stranger Things. 2 ans, 10 mois et 23 jours donnés aux frères Duffer pour écrire et réaliser neuf épisodes de qualité, avec un développement scénaristique poussé, une évolution significative des personnages et pour préparer le terrain de leur cinquième et, normalement, ultime saison. Malgré ce temps de préparation au-dessus des normes, la nouvelle saison de Stranger Things ne parvient à quasiment rien de tout cela.
Nombreux sont les spectateurs saluant le pseudo-exploit des frères Duffer d’avoir réalisé l’équivalent de neuf films (la durée moyenne d’un épisode de la saison 4 étant de 1h26) en un peu moins de trois ans. Il est donc important de souligner qu’il ne s’agit ici en aucun cas de films, mais bien d’épisodes de série télévisée. L’exploit n’est pas moins grand de la part de séries produisant annuellement 22 épisodes de 45min, faisant grimper leur total de production annuelle à 990 minutes, bien supérieur aux 782 minutes produites par le duo Duffer en trois ans. Premier effet de poudre aux yeux, la durée de ces épisodes donne un effet de nouveauté, comme si la série tentait de se renouveler à travers un nouveau format. Soit, adoptons le temps d’un instant l’angle de vue selon lequel il s’agit ici de neuf films. Dans ce cas, accepterions-nous réellement ce qu’a à offrir un « film » de la saison 4 sur sa seule durée ? Hors de sa continuité narrative avec ce qui suit et ce qui précède, au cœur d’un épisode en lui-même, il ne se passe presque rien. 30 millions de dollars, le coût d’un « film » de cette nouvelle saison, c’est 5 millions de plus que Cloverfield (2008) de Matt Reeves, 19 millions de plus que le E.T (1982) de Spielberg, 11 millions de plus que Le Labyrinthe de Pan (2006) de Guillermo Del Toro… De ce fait, faire un film de science-fiction pour moins de 30 millions ne devrait pas poser de problèmes. Deux questions se posent ici : Pourquoi les frères Duffer ne parviennent-ils pas à fournir 9 épisodes de qualité malgré le budget conséquent qui leur est attribué ? Et surtout, pourquoi, malgré la qualité moyenne des épisodes de cette nouvelle saison, continuons-nous à être accros à Stranger Thing ? La même réponse peut être donnée à ces deux questions : Netflix.

Depuis la création de sa plateforme de SVOD en 2007, qui a remplacé le service de location de DVD que Netflix mettait en place depuis 1997, la société américaine a en parti créé, popularisé et normalisé le concept du « binge-watching » il s’agit ici du fait de consommer des séries de manière continue, réduisant au maximum le temps d’attente entre le visionnage des épisodes. Lancement automatique de l’épisode suivant, raccourcissement du temps permettant le retour en arrière afin d’éviter cet enchaînement… Netflix a tout mis en place afin que nous nous enquillions ces séries sans bouger de notre divan. Le point culminant de cette stratégie consiste en la sortie simultanée de tous les épisodes d’une nouvelle saison, allant à l’encontre de la sortie hebdomadaire de 1,2 ou 3 épisodes qui était, jusqu’à l’arrivée du géant rouge américain, la norme. Stranger Things n’échappe pas, ou peu, à la règle et sort en 2 parties tout juste séparées d’un petit mois. Grâce à cela, la plateforme de streaming limite la réflexion des spectateurs sur la qualité artistique de l’œuvre produite. Alors que la sortie d’un épisode par semaine nous permettrait de nous rendre compte à quel point ceux-ci sont scénaristiquement vide, la situation est ici subie par le spectateur qui n’a que 5 secondes de réflexion sur ce qu’il vient d’ingurgiter avant que Netflix ne lui lance automatiquement l’épisode suivant. Malheureusement, cela est tout naturellement connu et utilisé par les scénaristes et réalisateurs de la série qui n’ont plus qu’à profiter de ce système de diffusion des épisodes lors de la rédaction de ceux-ci.
Sachant cela, Stranger Things saison 4 c’est quoi ? 8 épisodes qui préparent au neuvième. 8 épisodes composés de trajets, d’allers-retours, de trahisons, de trahisons de trahisons, de détrahisons… de beaucoup trop d’éléments limitant les évolutions possibles, que ce soit des personnages ou de la diégèse même de la série. Cette saison 4 est purement pensée comme un produit de consommation, à l’image d’une websérie YouTube. Les créateurs oublient leurs personnages et ce qui les caractérise, comme la date d’anniversaire de Will totalement oubliée dans la saison 4. La solution ? Quoi de plus naturel que de retourner chercher dans les saisons précédentes les allusions faites à cette date et redoubler les passages en question afin de lui changer son jour de naissance ? On apprend, le lendemain de la diffusion des épisodes 8 et 9 que 20 plans à effets spéciaux n’ont été mis sur le serveur Netflix que le jour même de la diffusion et que certains n’avaient pas encore été ajoutés au moment des premiers visionnages des spectateurs… Tout, dans cette nouvelle saison, est pensé en total désaccord d’un quelconque respect de l’œuvre dans son ensemble ni de ses spectateurs.

Tout n’est cependant pas à jeter dans cette nouvelle saison, loin de là même. Exit les néons multicolores qui faisaient le charme de la saison 3, c’est ici dans une alternance des noirs et des rouges que la saison trouve son identité visuelle. Les forces majeures de la série restent également les mêmes : un monstre marquant, esthétiquement impressionnant et trouvant rapidement son sens au sein de l’univers de la série ; l’introduction rapide et ultra efficace de nouveaux personnages venant apporter des couches de personnalités supplémentaires à la bande originale ; des séquences de bravoure marquantes intégrant immédiatement la liste des meilleures de la série… Cette saison 4 ne perd aucunement l’identité qui a fait le succès de Stranger Things, mais semble en perdre un peu de l’âme, comme si la série qui, à ses débuts, prônait la différence et l’originalité, s’était pliée aux normes fades du N rouge, comme si la machine à Freaks des frères Duffer n’était devenue qu’une simple machine à fric et à record… La flamme semble s’éteindre peu à peu et les personnages de la série avec, à l’image de Will, vidé de tous enjeux scénaristiques, traversant les épisodes de manière quasi fantomatique et étant limité à une seule et unique problématique tout au long des neufs épisodes ! Pas mieux du côté de Mike, encore moins de celui de Eleven, obligé de passer encore et encore par les mêmes étapes de construction et déconstruction depuis maintenant 29 épisodes… Miraculeusement, certains personnages jouissent de leur meilleur développement. C’est tout particulièrement le cas du personnage de Max, portant, avec Vecna, à eux seuls absolument toute la saison. Puissance émotionnelle, rationalité des actions, relation logique et évolutive aux autres… Tout ce qui touche au personnage interprété par Sadie Sink est parfaitement écrit et mis en scène. La jeune fille qui n’apparaît pourtant que dans la saison 2 devient, dès les premiers épisodes de cette nouvelle saison, l’atout majeur de la série, le seul personnage auparavant connu des spectateurs à avoir droit à une véritable évolution.
Stranger Things saison 4 c’est donc la saison des fissures, celle, fatidique, où l’on se dit à la fois que la série aurait peut-être dû s’arrêter plus tôt, mais où l’on reste persuadé, sûrement à tort, que la saison suivante va pouvoir redresser la barre. C’est la saison où l’on se rend compte que, derrière l’objet artistique qu’il nous est donné à voir, il y a une production qui ne vise que les chiffres et records sans se soucier de la qualité de ce qu’elle fournit, ni même de savoir si le produit diffusé est finalisé. C’est la saison où l’on se dit que vouloir garder tous ses personnages initiaux en vie à défaut d’une quelconque rationalité, c’est un peu comme la collection de nos dessins d’enfant chez mamie, ça fait plaisir à voir, mais c’est vraiment pas très utile. Netflix, cap de sortir la saison 5 à compter d’un épisode par semaine pour être confronté à des retours sur la qualité individuelle des épisodes et pas sur une espèce de perception commune de l’ensemble d’une saison ? On se demande encore comment aurait été accueillie la saison 8 de Game of Thrones si tous les épisodes étaient sortis en même temps…
Stranger Things saison 4, de Matt et Ross Duffer. Avec Millie Bobby Brown, Winona Ryder, Sadie Sink, David Harbour...
Saison 4 disponible depuis le 27 Mai 2022