L’obsolescence programmée de notre corps s’avère une crainte aussi sourde qu’elle est surtout inéluctable. Qu’importe tout ce que nous pourrons faire pour éviter de vieillir, rien n’empêchera au temps de s’attaquer à nous. Ainsi, il s’est développé cette crainte de la vieillesse, avec notamment ce rappel de notre mortalité qui se dessine au fur et à mesure des années. Le réalisateur espagnol Paco Plaza, connu notamment pour la saga Rec avec Jaume Balaguero, s’est approprié toutes ces inquiétudes dans son dernier long-métrage, Abuela. Et si le film a quelques pointes horrifiques attendues, c’est surtout par son traitement du corps et de l’âge qu’il effraie, de manière bien plus insidieuse que prévue.
Susana est un jeune mannequin espagnol. N’ayant pas encore ses 25 ans, elle est quand même considérée comme une “vieille” dans le milieu. Alors qu’on lui propose une certaine opportunité, elle se voit obligée de retourner chez elle s’occuper de sa grand-mère avec qui elle a grandi. Mais entre un appartement étouffant, où sa seule famille en proie à un décès imminent s’emploie à d’étranges actes, la jeune femme se demande si elle ne se trouve pas en danger.
La première séquence, confrontant une jeune femme et une autre plus âgée, amène déjà une opposition visuelle qui nourrit l’entièreté du long-métrage. Le film rappelle constamment ce regard imposé sur le corps et sur le besoin d’une jeunesse à maintenir son apparence. Susana est introduite en sous-vêtements, la caméra épousant son corps tel un créateur en quête d’une muse. Car elle est en moitié de vingtaine, notre héroïne ne rentre plus tout à fait dans le moule de jeunesse dans lequel elle veut rester mais dont la société essaie de l’extraire. En ce sens, sa façon de se retrouver constamment face à des miroirs lui impose cette constatation de faits mais surtout un besoin de se voir en permanence jeune.

La symbolique se révèle puissante dans sa récurrence, encore plus quand l’objet se trouve au sein d’un champ contrechamp où il oppose la vieillesse de la grand-mère de Susana alors qu’elle-même se contemple souriante de l’autre côté. Le miroir n’est pourtant pas uniquement là en tant que simple objet mais en tant qu’image miroir même, alors que Susana se trouve à un arrêt de bus où se trouve une de ses publicités. L’étouffement se fait subtil et progressif, rappelant aux craintes de la jeune femme alors même qu’elle est confrontée à un corps en décrépitude auquel elle ne veut pas être renvoyée.
Paco Plaza joue de sa mise en scène pour mieux inquiéter, mais jamais réellement effrayer. Bien qu’il comporte des scènes horrifiques, jamais Abuela ne va dans le cinéma d’horreur grandiloquent. On pourrait même l’orienter vers quelque chose de proche, conte contemporain fantastique où ce sont les inquiétudes sourdes qui nourrissent les craintes des protagonistes mais également de son audience. En éveillant un malaise sourd et un renfermement perpétuel de son héroïne, Paco Plaza semble traiter de la façon même dont notre image coince le corps féminin. Entre jeunesse éternelle et vieillesse crainte, il n’existe plus qu’une zone de flou qui appelle à un retour constant en arrière, en particulier par le regard extérieur constamment imposé par le monde.
Moins film horrifique que chronique fantastique, Abuela fonctionne en tant que traitement du corps féminin par l’usage du miroir et de l’image miroir. En ce sens, Paco Plaza détourne sa promesse d’horreur directe pour quelque chose de sans doute plus intérieur et en tout cas bien efficace. De quoi nous faire craindre le reflet de notre miroir, rappel permanent que nous sommes voué·es à disparaître mais surtout à connaître une forme de décrépitude qui angoisse constamment notre société.
Abuela, de Paco Plaza. Écrit par Carlos Vermut. Avec Almudena Amor, Vera Valdez, Karina Kolokolchykova,… 1h40
Sorti le 6 avril 2022