Mind Game, The night is short, walk on girl ou encore Ride your wave, Masaaki Yuasa est un réalisateur qui a réussi à imposer un style éclectique, prenant toujours le/la spectateur·ice au dépourvu par sa façon de se réinventer constamment. Alors que ses récents projets étaient plutôt accessibles, Inu-Oh a de quoi déstabiliser tant il se rend en terrain inconnu.
Retour 600 ans en arrière, à l’époque du Japon féodal durant l’ère Muromachi. Inu-Oh est une créature maudite obligée de se cacher à cause de ses particularités physiques. Rejeté par la société, il trouve un nouveau souffle de vie lorsqu’il rencontre Tomona, un joueur de Biwa (un instrument à cordes traditionnel) aveugle. S’en suit la création d’un duo qui attise les foules. Leur musique passionne mais aussi dérange l’ordre établi.
La nouvelle oeuvre de Masaaki Yuasa est bien plus exigeante que les autres. En ancrant son récit dans une époque et des codes qui nous sont pour la plupart inconnus, le réalisateur nous entraîne sur un terrain qui peut être difficile à appréhender. Inu-Oh a véritablement existé même si on retrouve que très peu de traces de son histoire. Tout ce qu’on sait de lui c’est qu’il a été le précurseur du théâtre Nô, un art assimilable aux spectacles forains de saltimbanques urbains. Une fois cette petite leçon d’histoire passée, il est temps de son plonger dans cette oeuvre psychédélique et rock’n roll.

Parce que si Ride your wave joue sur quelque chose d’assez universel, Inu-Oh est une expérience avant tout visuelle et auditive. Des morceaux rocks (durant parfois jusqu’à sept minutes) enveloppés d’une mise en scène explosive. Ça court, ça danse, ça s’illumine de partout. Quelque chose de très poétique a de quoi happer le/la spectateur·rmice si tant est qu’iel se laisse embarquer dans ce grand huit. La mise en scène prend plaisir à distordre ses cadres et ses personnages pour nous plonger dans une transe parfois indescriptible tant elle est intense. Mais derrière ce grand spectacle aux allures d’opéra rock, Inu-Oh dessine des thématiques bien plus universelles.
Masaaki Yuasa nous offre une oeuvre célébrant l’art. Il nous montre comment les parias de la société trouvent leur salut dans la musique, faisant oublier aux yeux des autres leur différence. L’art (peu importe sa forme) a une force indéniable, celle de bousculer, de fasciner, d’unir mais aussi de déranger. Un propos finalement universel qui, malgré tous ses éléments ancrés dans une période bien précise, peut largement se transposer aujourd’hui et dans n’importe quel pays. Le réalisateur s’amuse avec son récit qui ne répond à aucune norme, déformant son récit à tout va pour se permettre de divaguer et se déformer avant de reprendre sa forme initiale et de continuer son récit. Masaaki Yuasa a tout compris à la notion d’art et en fait un pamphlet totalement fou et inédit.
Une fois ressorti·e lessivé· de ce voyage, Inu-Oh s’affirme comme un film improbable et électrisant. Une expérience qui marquera durablement le cinéma d’animation japonais si bien que toutes les autres propositions risquent de nous paraître bien fade. Une autre chose est sûre, Masaaki Yuasa se présente aujourd’hui comme le réalisateur à la patte folle et imprévisible.
Inu-Oh réalisé par Masaaki Yuasa. Écrit par Hideo Furukawa, Akiko Nogi. 1h38
Sortie le 23 novembre 2022