Attention, cet article a été rédigé par deux de nos auteurs. Les crédits sont en fin de texte.
The tree of life (2011) : La vie, l’histoire
Noir. Un son : celui de la danse éternellement recommencée des vagues. Noir. Une flamme sourdre des ténèbres. Elle est comme une fleur. D’elle, nous provient la voix d’un homme. « Brother. Mother. It was they who led me to your door ». La flamme grossit. Vibre comme un cœur battant. Elle est un espoir donné un monde. L’écran noircit. Le film débute. The Tree of Life peut dérouter, agacer, ennuyer même. Le temps peut paraître si long. L’histoire peut sembler bancale. Cependant, aucune de ces émotions négatives ne sont à imputer au film. Car The Tree of Life est indubitablement de l’acabit de ces œuvres pharamineuses qui donnent un sens à notre condition humaine, comme il en existe peu. Tout part d’un deuil. Jack (interprété par Sean Penn) vient de perdre son frère. Il tente de faire face à cette réalité. Les souvenirs en lui s’entrechoquent. Il s’en remet à la prière qui s’instaure comme un dialogue avec Dieu. De là, les images du passé de Jack, plus précisément de son enfance, ressurgissent. Comme chez Tarkovsky, la Maison familiale est le Lieu privilégié. Elle est un microcosme de l’Univers.

The Tree of Life est un film de reflets. La maison familiale n’est qu’un reflet d’une plus haute Maison. La mère (Jessica Chastain) n’est qu’un reflet de la Mère, principe s’apparentant à la Bonté éternelle. Le père (Brad Pitt) n’est lui aussi qu’un reflet du Père, à la fois Force et Pouvoir. Il faut noter que la prouesse du cinéaste américain est d’avoir su alterner intelligemment entre une position démiurgique (lorsqu’il filme les paysages inhumains des origines du monde, l’espace quasi-infini et indifférent) et une retranscription humaine de l’expérience du monde (l’enfance, les sensations d’un soir d’été, les baisers oubliés). C’est la Vie qu’articule Malick sur 2h18 de film. La Vie dans tout ce qu’elle a de plus vrai. Du microscopique au macroscopique, Malick filme l’Éternité.

Malgré toutes ses arborescences narratives et temporelles (d’où le titre Tree of Life, qui lui-même semble un arbre aux multiples branches s’érigeant vers le ciel) le film se noue autour d’une idée centrale : la quête de la Grâce. Qu’est-elle, cette Grâce dont nous parle Malick ? Simple. C’est le spectacle du couchant. Le rire d’enfants. Le visage de la Mère qui sans parler dit « Je t’aime ». Les métamorphoses de la Lumière. La danse des oiseaux migrateurs. Les mains qui se lovent l’une dans l’autre. C’est la symphonie céleste dont nous n’entendons rien mais qui est là, à chaque instant, en nous, et qui nous pousse chaque jour à célébrer. C’est cet Amour qui inonde le monde et qui est également à l’origine du monde. C’est cet amour qui harmonise l’univers dont parle Dante à la fin de son Paradis. L’amour est une force régissante. Elle établit des rapports entre les êtres, entre les êtres et le monde, entre les différentes planètes. Elle sous-tend l’univers, comme une fleur dans la paume d’une main. L’amour n’est que mouvement : d’un cœur à un autre cœur, d’une lèvre à une autre lèvre, d’une main à une autre main, du frissonnement d’un arbre au creux d’une oreille, du cours d’eau d’un fleuve s’étirant jusqu’à la mer, du mouvement magnifié des planètes… L’Amour c’est ce qui met en marche ! Voilà ce qu’est The Tree of Life : une ode à l’Existence. Un film simple, honnête, beau, puissant.
Voyage of time (2016) : l’odyssée de l’espèce
“The past, the present, the future”, voilà comment décrire simplement ce documentaire. Montrer la création de la Terre et questionner la place de l’homme sur celle-ci, telle est l’ambition ici de Terrence Malick, ambition déjà clairement évoquée dans The Tree of Life – et son rêve depuis plusieurs dizaines d’années –, mais cette fois le réalisateur voit plus grand. Il veut raconter l’histoire de l’univers, le Passé, pour mieux observer ce qu’il en est aujourd’hui et ce qui nous attend demain. Reprenant l’identité visuelle et l’hyper réalisme du film précédemment cité – avec un mélange de numérique et d’effets pratiques à base de jeux de peintures pour la cosmogonie –, il s’adjoint cette fois-ci la participation de certains spécialistes comme Werner Benger, dont le savoir devient, par la voix-of de Cate Blanchett (ou Brad Pitt selon la version), une sorte de prière à la Vie, accompagnée d’une bande-son composée essentiellement de morceaux classiques signés Beethoven, Bach ou encore Haydn.

S’inscrivant dans le sillage d’oeuvres comme Koyaanisqatsi de Godfrey Reggio ou Samsara de Ron Fricke, Malick flirte avec l’auto-caricature : mysticisme exacerbé, voix religieuses, envolées musicales, et joue avec la lassitude éventuelle du spectateur. Sa foi en son projet, en ces images, lui permet toutefois d’atteindre une certaine magie – inégale –, qui explore un double épuisement. Celui d’une planète en proie à de nouvelles menaces d’extinction par la faute de ses habitants (nous), et la sienne en tant que cinéaste passionné par l’ambivalence du rapport de l’homme au divin et l’inexplicable, et qui semble livrer son requiem à travers les images les plus contemporaines. On peut citer l’enchaînement très intéressant entre la séquence marquant la fin de l’ère des dinosaures, avec l’astéroïde venant percuter la planète bleue, en faisant un espace de désolation, et celle où des soldats armés menacent des populations civiles dans ce qui semble être un wasteland moderne.
Malgré une durée raisonnable, Malick se complaît un peu dans les longueurs, mais là encore sans jamais jouer d’une posture. Il semble complètement envoûté par cette recréation, à la splendeur terrible qui jouit d’images parmi les plus impressionnantes jamais capturées. Malick traite son sujet de manière appliquée, scientifique, délaissant même le divin durant toute l’intégralité de la partie liée à la création ; il aborde même directement la question de l’homme de Néandertal. L’aspect religieux, difficile à mettre en œuvre, il le garde astucieusement pour conclure le récit avec un plan du ciel où le soleil, masqué par les nuages, brille. Invitation à penser que la foi est un refuge pour l’homme ou révélation personnelle que sa la sienne est toujours présente mais peine désormais à ressortir pleinement ? On l’ignore mais il est certain que ce film a une valeur intéressante par sa place dans la filmographie de l’auteur, après un Knight of Cups déroutant et sombre et, à l’aube de Song to Song, à l’allure plutôt différente.
Crédits rédaction : The tree of life : Sébastien Nourian
Voyage of time : Élie Bartin
The tree of life, écrit et réalisé par Terrence Malick. Avec Brad Pitt, Jessica Chastain, Sean Penn… 3h08
Sorti le 17 mai 2011
Voyage of time, écrit et réalisé par Terrence Malick. Avec la voix de Cate Blanchett. 1h30
Sorti le 4 mai 2017