Peau D’âne (1970)
Jacques Demy se dirige de nouveau vers ses fantaisies, décidant d’adapter le célèbre conte Peau D’âne. Retrouvailles en fanfare avec Michel Legrand, avec lequel il entreprend de retourner vers la comédie musicale qui fit le succès des Demoiselles de Rochefort et des Parapluies de Cherbourg. Les ambitions du cinéaste vont cependant crescendo, voulant pousser l’artifice de la fable jusqu’au bout. Costumes grandiloquents, décors gigantesques, c’est une débauche de moyens qui s’affiche à l’écran pour célébrer Charles Perrault. Peau D’âne a un ton particulier, et il n’est pas forcément simple d’en apprécier la proposition. Mais à qui se laisse porter, le voyage est entier.

Quête éternelle de la beauté suprême quand, sur son lit de mort, une reine fait promettre à son mari que pour son second mariage, il ne peut prendre pour épouse qu’une femme plus belle encore – requête bien légère, on admettra, mais les idées autour des contes sont souvent menées de simplicité pour accentuer la morale couvrant le départ de l’histoire de ridicule. Quelle n’est sa surprise lorsqu’après des recherches pourtant intensives, le roi réalise que la seule autre femme pouvant rivaliser avec la défunte n’est autre que sa propre fille ! Cette dernière, aidée d’une bonne fée, tente de déjouer les avances incestueuses du paternel – campé par un Jean Marais qui s’amuse totalement de sa perversion – avec des exigences particulières, notamment sur des robes, normalement impossibles à créer. Demy en profite pour faire un étal de son budget costume toujours florissant, offrant à Catherine Deneuve une garde-robe comme on en voit peu. Cette dernière rayonne, Demy transcendant son sens du cadre pour la mettre en valeur, bien qu’elle soit concurrencée par une Delphine Seyrig dont le charisme transpire à chaque instant. Les robes étant finalement confectionnées, c’est la peau de l’âne boursier du Royaume qu’elle demande, pensant que son père ne renierait pas l’apport financier de son peuple. Une fois l’animal tué, et cette pauvre princesse habillée, la détermination de son père n’est plus à prouver, et il est temps pour la jeune femme de fuir.
On parlait du ton particulier de Peau D’âne, s’imprégnant totalement de la naïveté du conte et mêlant les paroles de ses chansons de rimes absurdes. Se donner rendez-vous à la buvette, un moment qui en fera rire plus d’un·e, entre autres, et qui peut dérouter, mais qui confère au charme général. L’absurde domine le métrage, qui joue autant des thématiques qu’il les respecte. Les moqueries envers la royauté, l’hypocrisie de la cour et des puissant·es, mais aussi l’opportunisme du peuple qui tente la supercherie pour s’élever socialement, tout est prétexte à ce que Demy s’essaie au grandiose de mise en scène, jouant de ses décors, mais aussi une occasion de s’approprier des thématiques qui ne sont pas si éloignées des siennes. On y parle de fatalité, d’un amour incestueux impossible à refuser pour celle qui doit se conformer à un certain déterminisme sous peine de tout perdre. Évidemment, la morale refait surface, faisant honneur à la bravoure et au refus de se plier à des codes malsains pré-établis, et le conte s’achève sur une ode à l’Amour, dans une séquence qui continue à accentuer sa tonalité absurde.

À l’image de ses Demoiselles De Rochefort, Peau D’âne est emprunt de naïveté, démontrant que l’amour trouve toujours un chemin. Il n’en garde pas moins un aspect cynique quant à ce roi prêt à renier tout sens moral juste pour assouvir son besoin de beauté, pour un personnage qui se voit recadré, mais pas condamné. La chance à chacun·e de trouver le chemin qui lui convient reste une idée qui abreuve le cinéma de Jacques Demy.
Le Joueur De Flûte (1972)
Dans sa volonté de toujours traiter des rapports sociaux par l’utilisation des contes et légendes, Demy retourne à l’étranger, après Model Shop, et décide d’adapter Le Joueur De Flûte de Hamelin, histoire jadis rapportée par les frères Grimm. Loin de la comédie musicale de Peau D’âne, le récit se passe en Allemagne, dans une cité qui s’apprête à être ravagée par la peste. Plusieurs destins se croisent, entre un médecin tentant de trouver une solution pour contrer la maladie grandissante, des jeux de pouvoirs incluant un mariage pour dot et des calculs guerriers.
La critique sociale et les enjeux sociaux se mettent rapidement en place. Le médecin dont les remèdes, semblant pourtant efficaces, sont ignorés sous couvert de son affiliation juive – qu’il ne met jamais en avant – face à une bourgeoisie qui se doit de suivre les diktats catholiques, préférant se résoudre au jugement divin plutôt que s’en remettre à la science ; le jeu de cour où il est clairement établi que la jeune princesse du royaume est sacrifiée au profit d’un mariage qui ne fait que renforcer des positions guerrières, tout est calcul et malfaisance. Dans cette caravane qui vient d’arriver, le joueur de flûte, être pur et bien loin de toutes ces tribulations, qui met les hommes face à leurs propres pensées, et met surtout en avant le ridicule des situations.
La beauté des tableaux de maître, que Demy met minutieusement en place, est sublimée par le choix d’une caméra très calme, souvent fixe, qui ne fait que panneauter ou axer de légers travellings laissant place à des plans longs, très théâtraux. L’occasion d’admirer le soin apporté aux décors, qui, s’ils sont peu nombreux et souvent en lieux clos, travaillent leur retranscription avec brio. Mais ce procédé, bien qu’honorable, apporte aussi de grosses limites, qui se ressentent dans le langage cinématographique, et surtout dans son absence. La présentation montre une caméra trop éloignée, et peu impliquée dans les échanges, qui procurent un sentiment informel. L’impression de ressentir la lecture de la légende et d’observer de simples illustrations, plutôt que de regarder un film qui se l’approprie, domine. Les dialogues, dont on constate les passions par l’écriture, nous semblent mornes, et si les comédien·ne·s semblent habité·e·s dans leurs prestations – on pense notamment à John Hurt, étonnant en jeune prince belliqueux –, jamais on ne s’approche, jamais on ne peut ressentir pleinement les fléaux et tribulations qui les tourmentent. Donovan, s’il est pourtant tout l’intérêt du film qui porte son nom, peine à exister dans le cadre, et on ignore totalement la présence de Donald Pleasance, ici anecdotique.
Le Joueur De Flûte est, lui aussi, assez anecdotique dans la carrière du réalisateur. S’il comporte un certain intérêt visuel, et peut susciter une envie de découvrir la légende dont il est issu, il représente surtout une expérience assez pénible, que l’on peine à suivre avec goût, et qui est très vite évincé par le reste de la filmographie de l’auteur.
L’événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune (1973)
C’est avec une comédie au titre improbable que Demy amorce la suite de ses aventures filmiques. L’événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune interroge par sa dénomination, mais se mêle d’attentes face à un casting qui incite les envies : Catherine Deneuve et Marcello Mastroianni et tête d’affiche, rapidement rejoint·e· par d’autres têtes connues, parmi lesquelles Micheline Presle, Alice Sapritch ou encore Michèle Moretti. Mais quel est cet événement, et en quoi serait-il si important ? C’est celui qui concerne Marco (Mastroianni) qui après d’étranges douleurs et une consultation médicale, apprend qu’il est enceint ! Et on comprend bien que cette apparition de grossesse suscite bien des curiosités, et un intérêt qui dépasse la vie de ce petit couple de province. Si la société doit s’adapter à une possibilité d’enfantement masculin, elle se bouge à vitesse grand V ! Il est d’ailleurs ironique de voir la réaction de ces femmes dont on ignore les souffrances, qui constatent que désormais que le problème concerne les hommes, nombre de choses vont être mises à leur disposition, et une considération particulière leur est apportée.

Même si cette critique mentionnant l’égalité homme-femme face aux prérogatives de la société est présente en filigrane, et se retrouve surtout lors de certaines répliques cinglantes, Demy n’axe pas sa narration autour de cette lecture, préférant une comédie grandiloquente. Un possible manque de conscience de ces sujets, qui ne l’empêche pas de rire de la situation avec un certain brio. Cet homme tout à coup bedonnant devient l’attraction populaire. On montre son évolution physique, lui qui tout à coup a du mal à entrer dans le véhicule de son auto-école, lui qui commence à avoir faim. Bref, tous les clichés y passent et sont moqués, par lui qui a du mal à comprendre sa situation mais aussi par les femmes qui la trouvent banale, et son entourage masculin qui trouve cela absurde. Vu par ses médecins tant comme une avancée scientifique à promener de séminaire en conférence qu’une bête de foire absolue, il devient rapidement l’égérie d’une marque de poussettes, qui entend bien être la première à développer sa gamme autour de la grossesse masculine, qui commence peu après à se découvrir de nouveaux cas.
Mais au-delà d’une comédie qui pourrait vite user de ses ressorts et d’un humour relativement lourd par moments, L’événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune est avant tout un film sur le couple, et les épreuves qu’il traverse. Lorsque l’événement survient, le monde de Marco et d’Irène se retrouve chamboulé, bouleversé, mais le duo tient bon malgré les épreuves. Le couple se rapproche, s’accompagne, forme un roc qui appréhende et affronte chaque nouvel élément. La réalité les fait réfléchir à leur ambition, entre le salon de beauté et soins qu’Irène souhaite diriger, qui peut devenir une entreprise familiale dans laquelle chacun·e s’épanouit. Le film conserve constamment ce ton doux, entre les ami·es qui ricanent au premier abord mais acceptent et proposent instantanément leur aide et leur écoute, et des professionnel·les qui, derrière leurs intentions véreuses, ne font jamais subir au couple leurs souhaits pécuniaires.

Aussi vite que sa situation survient, L’événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune s’achève sur un non-lieu. Une révélation qui devient anecdote, à l’instar du film, qui se savoure comme un bonbon mais manque de consistance pour marquer durablement. Reste le souvenir d’un moment agréable, où le savoir-faire de son auteur nous guide avec aisance.
Peau d’âne, écrit et réalisé par Jacques Demy. Avec Catherine Deneuve, Jean Marais, Delphine Seyrig… 1h29
Sorti le 16 décembre 1970
Le joueur de flûte, de Jacques Demy. Écrit par Andrew Birkin, Mark Peploe et Jacques Demy. Avec Donovan, Diana Dors, John Hurt… 1h26
Film de 1972, sorti en France le 31 décembre 1975
L’événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune, écrit et réalisé par Jacques Demy. Avec Catherine Deneuve, Marcello Mastroianni, Micheline Presle… 1h34
Sorti le 20 septembre 1973