La dernière édition de l’IFFR a signé le retour de la réalisatrice Anca Damian. Après son merveilleux L’extraordinaire voyage de Marona qui contait la vie tumultueuse d’un petit chien, The Island se plonge dans un voyage beaucoup plus psychédélique pour se pencher sur l’épineux sujet des migrants, de la survie et de son rapport aux autres. À cette occasion, nous avons rencontré la réalisatrice pour en savoir un peu plus sur la création de ce film.
– Quelle est la genèse de ce projet ?
L’idée de faire ce film est apparue comme un désir de faire un film musical sur la réalité troublante de nos jours. The Island est un film sur la recherche du paradis qui se confond avec le sens de la vie dans un monde qui s’écroule. Le rapport avec l’autre, le rapport avec la nature, avec nos désirs et illusions, sont des miroirs auxquels nous sommes confronté·es quotidiennement.
– Comme votre précédent film, il y a toujours ce thème de la mort en filigrane. Pourquoi ?
C’est mon quatrième long métrage d’animation et le seul qui ne commence pas avec la mort du personnage principal. Mes films parlent, par contre, de la vie et la mort et le prétexte qui donne la valeur à la vie. Moi je suis obsédée par le sens de notre passage sur cette planète, dans un corps qui est un processus en perpétuel changement, et oui, au-delà de ça on a une mémoire, un mental, des émotions, des intuitions, une âme… Le thème de la mort nous aide à comprendre le sens de la vie.
– On retrouve le même univers coloré mais j’ai l’impression que cette fois-ci il y a une complexité encore plus importante. Comment s’est déroulé le processus créatif ?
Le processus créatif a eu un trajet plus complexe que d’habitude. J’ai dû entrer dans le ventre du projet pour voir avec clarté la forme visuelle du film. J’ai eu des propositions très différentes mais cohérentes tout au début, que j’ai abandonné. Seulement quand je me suis immergée totalement dans le projet, j’ai vu avec clarté les choix qu’on avait d’abord écartés et qui me paraissaient finalement cohérents avec le film.
– La musique a une part importante dans ce film, comment avez-vous travaillé avec Alexander Balanescu ?
J’avais travaillé avec lui pour La montagne magique donc on se connait très bien. Mais c’était plus compliqué cette fois car il existait déjà des morceaux musicaux que j’ai voulu changer. Alexander Balanescu et Ada Milea ont émis une résistance par rapport à ce changement. Ce n’est qu’au fur et à mesure d’échanges qu’on a réussi à construire quelque chose qui me correspondait mais qui leur correspondaient aussi.
– Il y a également quelque chose de très poétique dans les dialogues et les rimes, quelle était l’intention derrière ce choix ?
La poésie du dialogue vient de Gellu Naum, le poète surréaliste roumain d’origine juive qui a réussi à utiliser les mots dans leur sens philosophique et ludique pour saisir l’âme de la réalité. De plus, l’équipe a commencé à utiliser ce dialogue dans la vie quotidienne et c’était comme un code qu’on utilisait pour interpréter notre réalité.

– Votre film est éminemment politique notamment sur la question des migrant·es que vous traitez de manière frontale. De quelle manière s’inscrit-il dans l’actualité ? Est-ce une manière aussi de sensibiliser les plus jeunes à cette question ?
L’actualité des migrant·es existe parce qu’on a séparé les territoires avec des frontières, et on s’est habitué à traiter les autres comme s’ils ne sont pas des humain·es. On apprend ce qui nous sépare sans apprendre ce qui nous connecte. On doit lutter pour le droit à l’humanité, car aider un·e immigrant·e est puni par la loi. Les migrants quittent leur pays pour des raisons de guerre et de manque de ressources de vie entre autres. Le film propose surtout de changer le regard vers l’autre, car l’autre est aussi un reflet de soi. Finalement, au grand Big-Bang nous étions tou·tes poussière d’étoile !
– En plus de Robinson, on a des personnages importants qui gravitent autour de lui que ce soit la sirène ou Vendredi. Que représentent-iels ?
Pour moi Robinson et Vendredi sont les personnages principaux du film, ou plutôt les incarnations de l’homme de nos jours.
La Sirène est le personnage imaginaire – dérivé d’un personnage réel – la femme de ONG. Comme elle est imaginaire elle est la femme parfaite, qui essaye de séduire mais qui permet aussi au binôme Robinson et Friday d’évoluer. Il existe aussi Mary, la mère de Robinson et aussi éventuellement de Friday, mais aussi pas mal de personnages épisodiques, les Pirates – ceux qui prennent la propriété des autres, les personnages du carnaval des plaisirs qui sont devenu l’objet de leurs désir, le mafioso…
– La tablette à travers laquelle Robinson observe des souvenirs est omniprésente. Qu’est-ce que cela dit de notre société actuelle ?
L’idée était d’avoir un journal quotidien et la tablette avec la réalité augmentée m’était venue dans le développement du film. C’est un outil qu’on retrouve dans la vie quotidienne de beaucoup de gens du coup ça devient plus facile pour le/la spectateur·ice de s’identifier. Le journal de Robinson est sa réalité, sa mémoire et l’interface avec le monde réel.
– Tous vos films ont une identité visuelle bien à eux qui les différencient et en même temps on arrive toujours à reconnaître votre patte créative. Quels sont les films et les réalisateur·ices qui vous ont inspirée ou qui vous inspirent encore ?
J’ai des auteurs et films divers que j’admire, j’avais commencé avec Kurosawa, mais chaque année j’ajoute au moins cinq ou six auteur·ices et films qui m’inspirent. Je trouve également l’inspiration dans les arts visuels, la musique, les spectacles, la littérature, les arts numériques… Pour moi ce qui est le plus important en tant qu’artiste c’est trouver une forme visuelle unique, une individualité à chaque film et essayer d’ouvrir le cœur et l’esprit du spectateur avec l’art que je fais. Le film doit être un spectacle mais aussi un espace de réflexion.
Merci à Anca Damian d’avoir répondu à nos questions ainsi qu’à Barbara Van Lombeek de The PR Factory d’avoir organisé l’interview.