Blood and Bones, c’est l’adaptation d’un roman coréen semi-autobiographique de Yang Sok-il et réalisée par Yoichi Sai… avec Kitano Takeshi dans le rôle principal. Un film difficile mais puissant.
Shunpei, immigré coréen au Japon s’engage dans l’armée impériale pendant la Seconde Guerre Mondiale. À son retour, il lance son commerce de kamaboko, des bâtonnets de poissons, au milieu de sa petite communauté nippono-coréenne. Que le spectateur ne s’y trompe pas, cependant, car Shunpei nous est présenté comme un véritable salaud.
Interprété par Kitano Takeshi, Shunpei enchaîne les actes les plus répréhensibles : viole son épouse, violente ses proches, exploite ses employés en usant de la force et de la menace…. Blood and Bones, c’est l’histoire d’une chronique familiale, centré sur ce personnage de père tyrannique, craint de tous, et racontée du point de vue (et via la voix off) de son fils. Kitano est le choix le plus judicieux pour ce rôle : cette “gueule” à moitié cassée, dont il est parfois impossible de saisir l’émotion, inspire la crainte et la peur. Loin de ses rôles de violence contrôlée, enfouie, comme dans Battle Royale (Fukasaku, 2001), Kitano incarne ici un homme de pure cruauté à la violence de surface, prête à éclater à chaque instant, dès lors que l’on s’oppose à lui. Il s’agit d’un homme qui toute sa vie n’en a fait que selon son propre désir… au détriment de celle des autres.

Alors que l’on suit les personnages sur plusieurs décennies, il est frappant de constater la permanence de leur inertie face à l’infâme. À plusieurs reprises, certains ou certaines tentent de renverser le pouvoir du tyran, en vain, à chaque fois. Rien ne semble jamais vraiment aller bien, pour personne. La mise en scène, en retrait, laisse éclater les caractères de ses personnages brisés, oppressés, dont l’environnement de vie est circonscrit par un cadre le plus limité possible. Le foyer, particulièrement, n’est pas un lieu chaleureux, il est celui de la brutalité la plus primitive.
Série de drames familiaux où les hommes puissants oppressent les faibles, et les femmes, particulièrement, Blood and Bones mérite son titre : les êtres humains naissent et demeurent des tas de chairs, de sang et d’os. Mais où sont passés les sentiments et les émotions ? La solidarité, l’empathie ? Dans l’abîme de la guerre peut-être. Ne dit-on pas d’ailleurs que “l’abîme appelle l’abîme” ? La guerre a façonné un être dans la haine, qu’il alimente en chaque instant, et en toute action. Là où la guerre a emporté des vies, Shunpei confisque la liberté et le droit de jouir d’une vie “bonne” à son entourage. Toujours est-il que cette chronique familiale dresse un bien sombre portrait d’une époque et d’un pays à travers celui d’un salaud de la pire espèce.
Blood and Bones de Yoichi Sai (2004). Avec Kitano Takeshi, Suzuki Kyoka, Odagiri Joe, Tabata Tomoko…