Dans les thématiques difficiles à aborder, flirtant souvent avec le tabou, l’inceste se veut maître-étalon des silences gênés. Aborder l’horreur familiale par le prisme de l’abus, ou de l’emprise, deux choix aussi antinomiques que sujets à un besoin de justesse. En prenant le point de vue d’une enfant brisée, incapable de voir la terreur paternelle comme telle, Emmanuelle Nicot ose l’impossible, et traite surtout d’un récit de reconstruction pertinent. Présenté à la Semaine de la critique cannoise, le film nous offre l’émergence d’un talent prometteur.
La réalisatrice frappe très fort avec son premier long-métrage et son ambiance suffocante. La police débarque chez la jeune Dalva qui se débat avec les policiers alors que son père est embarqué pour on ne sait qu’elle raison. Rapidement placée dans un foyer d’accueil et chaperonnée par Jayden (Alexis Manenti), Dalva se rebelle contre tout le monde. Derrière cette relation très forte qui la noue à l’incarcéré, on découvre assez rapidement une histoire beaucoup plus sordide : lorsque la mère de Dalva s’est séparée de son conjoint, ce dernier a kidnappé la petite et n’a eu de cesse de déménager pour qu’on ne puisse pas les retrouver. Fait encore plus sordide, il l’aurait violé pendant plusieurs années, faisant croire à Dalva que c’était le seul moyen pour elle de se protéger des hommes qui ne sauraient pas lui faire l’amour. Conditionnée pendant des années, Dalva a bien du mal à voir la réalité en face mais grâce aux soutiens des siens et de sa nouvelle amie Samia, elle abandonne son habit de femme pour redevenir l’enfant qu’elle est censée être.

Comment se reconstruire lorsque le monde qu’on nous a bâti s’écroule et qu’on découvre qu’on a été dupée, que l’une des personnes censée vous protéger et vous aimer a abusé de vous ? Aborder le sujet de l’inceste est toujours délicat car le risque est de s’enfoncer de quelque chose de pathos et/ou de vulgaire. Pourtant, Emmanuelle Nicot déploie son récit à travers silences et non-dits. Pas besoin de connaître tous les détails du passé de Dalva, les traces sont présentes à l’écran. Elle ne s’habille pas comme les jeunes filles de son âge, si bien qu’on lui donnerait 18 ans. Blazers, robes en dentelle, sous-vêtements en soie, boucles d’oreilles, maquillage prononcé… Dalva n’est pas une enfant mais une adulte. Une adulte qui s’est grimée pendant des années pour plaire à son père. La réalisatrice réussit à développer son personnage principal en passant de la colère au déni puis à l’acceptation. Une acceptation qui se fait d’abord visuellement lorsque Dalva abandonne ses vêtements trop grands, sa coiffure tirée à quatre épingles et ses talons pour redevenir une jeune adolescente comme les autres.
Outre la transformation physique de notre héroïne, on assiste également à sa transformation psychologique, par des petits gestes, des mots… La carapace se fissure, laissant apparaître une enfant apeurée car arrachée à la seule source d’amour qu’elle avait jusque là. À qui faire confiance ? Qui croire ? Comment appréhender les autres hommes qui gravitent autour d’elle, ses camarades ou son éducateur quand la seule chose qu’on a connu sont les “plaisirs de la chair” ? La reconstruction est lente et douloureuse mais jamais le film ne s’apitoie sur son sort, préférant l’emmener vers la lumière et l’amour. La jeune Zelda Samson est probablement la révélation de ce 75e Festival de Cannes, une force de caractère, un charisme et un jeu éblouissant et constant.
Porte-parole de tous ces enfants dont le corps et la confiance ont été trahis par les leurs, Dalva est magnifique. Solaire et toujours sur le fil, un premier film qui impressionne et marque durablement.
Dalva écrit et réalisé par Emmanuelle Nicot. Avec Zelda Samson, Alexis Manenti, Fanta Guirassy… 1h25