Dans la crise qui entoure les propriétaires terrien·nes, en proie aux promoteurs en tous genres prêts à toutes les bassesses pour les déloger, on en vient souvent à se demander pourquoi, face à la désertification des régions et aux gros sous proposés, les propriétaires n’abandonnent pas leur habitat pour trouver un nouveau confort. Au-delà de l’appartenance et la dévotion aux sols qui nous ont vu grandir, c’est une teinte mystique, superstitieuse, qu’aborde Ariel Escalante Meza dans Domingo et la brume. Lui qui avait déjà surpris en 2019 avec The Sound of things continue sa carrière prometteuse.
Que faire lorsqu’il ne vous reste qu’un bout de terre que vous tentez de défendre contre vents et marées face à des promoteurs immobiliers peu scrupuleux ? Domingo a 65 ans, est usé par la vie mais se contente de son quotidien dans sa petite ferme avec ses quelques vaches et ses deux amis. Non loin de là, ce sont des promoteurs immobiliers qui rachètent les terres une à une pour construire une nouvelle autoroute. Tout est bon pour faire partir les dernier·es habitant·es mais Domingo ne compte pas partir de là et est même prêt à se défendre pour qu’on le laisse tranquille. Cette petite maison, il l’aime, d’autant que l’esprit de sa femme décédée continue d’hanter le lieu à travers une mystérieuse brume.
Le deuil est un sujet qui a toujours attiré le réalisateur. Ici, le personnage principal doit faire face à deux deuils : celui de sa femme mais aussi celui de ses terres. Qu’il le veuille ou non, l’urbanisation prend le pas dans ces régions reculées et le promoteur immobilier qui souhaite racheter sa ferme emploie la manière forte en recrutant des petits voyous du coin censés lui faire peur. Mais alors que tout le monde cède à la pression autour de lui, Domingo est une sacrée tête brûlée. Rapidement, la brume prend place, s’immisçant dans la maison et semblant parler à Domingo : c’est l’esprit de sa femme. Un esprit qu’il refuse d’abandonner de peur de ne jamais la retrouver par la suite, non pas par amour mais par regret comme on l’apprend de la bouche de sa fille qui l’accuse de l’avoir délaissée pendant des années. Le film n’est plus une question de survie mais de rédemption.
Ariel Escalante Meza instaure une ambiance austère dans ce village perché et perdu au milieu d’une forêt dense avec un climat humide, où la lumière du jour n’arrive jamais à percer, comme si l’endroit était déjà condamné. Domingo y erre en traînant des pieds avec son ciré jaune – seule couleur “vive” dans ce lieu si fade – accompagné de cette brume épaisse qui n’est pas sans rappeler The Mist ou Fog mais avec un aspect beaucoup plus onirique. À mesure que la menace de ces voyous s’approche, le climat devient anxiogène, le village s’obscurcit jusqu’à disparaître. Et dans un geste désespéré, Domingo représente toute une partie de ces populations chassées de chez elles sans vergogne et ainsi embrasse totalement l’aspect social du film qui, jusque là, restait sous-jacent.
Domingo et la brume est une merveilleuse fable onirique et désespérée ou le combat d’un homme face à une machine à broyer et contraint de faire le deuil d’une vie qui n’a plus d’avenir dans ce village costaricien en plus d’être la confirmation d’un talent à suivre de très près.
Domingo et la brume, écrit et réalisé par Ariel Escalante Meza. Avec Carlos Ureña, Sylvia Sossa… 1h32