Il en aura généré des attentes, le film de Douglas Attal. Vendu comme le “premier film de super-héros français” (c’est faux, mais forcément, ça attire), le métrage est attendu au tournant, tant il représente un carrefour potentiel pour le cinéma français : porte-étendard d’une industrie qui décide d’y aller franco et de proposer à l’écran des propositions excessivement rares dans le paysage hexagonal, ou preuve supplémentaire que les investisseurs ont “raison” de ne pas miser sur un cinéma considéré par le grand public comme “hollywoodien” ?
Il faut cependant concéder une certaine hypocrisie volontaire dans ces propos introductifs. Oui, il y a un cinéma de genre en France, des propositions diverses et une variété qui en 2021 n’a rien à envier à personne (d’autant que même si cette chronique a été rédigée lors de la découverte du film en 2020, sa sortie en VOD suit la déferlante que le cinéma hexagonal nous a mis dans la tronche, entre Médecin de nuit, La Nuée, Teddy, Méandre, Oxygène, Annette, et ce à quelques semaines d’intervalle). La différence reste dans ce qui existe et ce qu’on nous vend, éternel dilemme qui laisse à penser à qui ne fouille pas plus dans les sorties annuelles que le cinéma français, ce sont des blagues racistes autour d’une table, ou trois pécores qui se rencontrent et tombent amoureu·ses·x. Pourtant, et on l’a vu avec Teddy, qu’on ne vous conseillera jamais assez, les propositions fusent et continuent d’être foisonnantes : que ce soit l’horreur avec le Gravede Julia Ducournau – Titane arrive, et on en frémit d’avance ! -, le Ghostland de Pascal Laugier ; l’action futuriste de Arès – qui a malheureusement connu une sortie en salle anecdotique -, La Dernière Vie de Simon, Seul(s), il y a du cinéma de science-fiction. Et que dire des productions Europa Corp, qui si elles laissent à douter par leur qualité laissent entrevoir des possibilités bien présentes – Valérian Et La Cité Des Mille Planètes avait beau être con comme pas deux, c’était quand même magnifique à regarder – ? Un paysage cinématographique en réalité riche, mais qui peine à se démarquer tant le marketing, lui aussi, manque cruellement de budget. Pourtant, Comment Je Suis Devenu Super-Héros a réussi à se faire entendre, à susciter des attentes, et surtout à jouer sur une dualité que l’on semblait impossible : prendre des comédien·ne·s habitué·e·s à des choix “auteurisants” – on pense particulièrement à Swann Arlaud et Vimala Pons – et les inclure dans un film pulp influencé par l’univers des comic books en France. Une manière de montrer que le cinéma est aussi un mélange de tout, et qu’il faut en apprécier, ou du moins accepter d’en découvrir toutes ses facettes.
S’il n’arrive donc pas dans un paysage vierge de toute proposition originale dans son genre, Comment Je Suis Devenu Super-Héros fait couler de l’encre, et tant mieux, tant on n’aurait rêvé meilleur porte-parole pour réveiller la machine productrice hexagonale. Le film, avant toute chose, a une sacrée gueule pour son budget plus que limité. Un exploit quand il s’agit d’effets numériques complexes, et de décors pour la plupart en fonds verts. L’illusion est réelle, et la volonté de Douglas Attal d’ancrer son intrigue dans un cadre ultra-réaliste sert parfaitement son propos. L’action se passe de nos jours, dans notre monde, avec une légère différence : les “supers” existent, leur existence n’est pas un sujet à débat tant ils font partie de la société. À ce titre, pas besoin de les iconiser outre-mesure : lorsqu’ils apparaissent, ce sont juste des gus en costume, avec des noms souvent ridicules, ce qui peut ragouter au premier abord mais au final les inclut parfaitement dans notre réalité – et quand on y réfléchit, Captain America, aussi iconisé soit-il, c’est pas plus glorieux -. Suivre le parcours d’un flic menant l’enquête ne crée alors aucune frustration, et on savoure celle-ci avec plaisir.
Ce flic, c’est Moreau (Pio Marmaï), qui se retrouve affublé d’une nouvelle partenaire, Schaltzmann (Vimala Pons), et qui doit enquêter sur une mystérieuse drogue dotant ses usager·e·s d’un pouvoir éphémère de pyromanie. Nul doute qu’il y a là une entreprise malsaine utilisant les pouvoir d’un des “supers” disparu, surtout lorsque l’on réalise que cette drogue, expérimentale, est encore instable et provoque des effets secondaires allant jusqu’à la mort. Moreau utilise le réseau de Monte Carlo (Benoît Poelvoorde), ancien justicier en retraite forcée car atteint de Parkinson – forcément, la téléportation avec la tremblote, ça a moins de gueule – pour mettre à mal le réseau. Dans un univers où les pouvoirs sont monnaie courante et acceptés par tou·te·s, un élément d’enquête parmi tant d’autres, Douglas Attal choisit de jouer au film de flic, dans ce qu’il a de plus français. L’impression de voir un épisode de PJ n’est jamais loin, mais s’agrémente d’une investigation solide, aux contours certes simples mais dévoilant ses atours avec malices. Jeu sur les dialogues qui rend le duo rapidement attachant, on suit l’avancée avec implication.
Mais ce qui fait le sel de Comment Je Suis Devenu Super-Héros, c’est son identité et la cohérence de son univers. D’apparence simple, il ne souffre d’aucun défaut de pertinence, et puise donc sa richesse dans ses détails et ses sous-textes. Visuellement, les scènes d’action, si elles souffrent d’une mise en scène au montage trop énergique ne permettant pas de les savourer, bénéficient d’effets à la hauteur d’une histoire de cette envergure ; jamais cela ne semble cheap ou dépassé face aux grosses machines américaines. L’idée de jouer avec le concept de “l’origin story“, pour le détourner et en faire un récit de révélation et d’acceptation de soi, a aussi son importance : on y trouve des thématiques propres à l’univers super-héroïque, les responsabilités qui incombent à des personnes dotées de pouvoirs, leur envie de s’y abandonner mais de ne pas succomber à leur facilité. Dans sa démarche auteurisante, Douglas Attal puise plus son inspiration chez Raimi que chez Feige, et ce pour notre plus grand plaisir. L’antagoniste, campé par un Swann Arlaud impliqué et crédible, est à peine esquissé mais rapidement situé dans des enjeux que l’on comprend, si bien que son manque de développement ne ternit pas le résultat final.
Évidemment, le film a ses défauts. Des personnages assez archétypaux, servant avant tout à faire avancer l’intrigue le plus rapidement possible. Une dimension dramatique autour du personnage de Monte Carlo, tiraillé par son incapacité physique à assurer les mêmes exploits qu’auparavant, sacrifiée pour en faire un “comic-relief” certes efficace mais dont on aurait apprécié plus de profondeur. Une Leïla Bekhti totalement anecdotique et dont le rôle pourrait ne pas exister sans que cela n’affecte l’histoire. Et une volonté de s’inscrire dans les clichés inhérents au genre, quitte à progressivement laisser de côté ce qui faisait l’identité du métrage pour offrir l’éternel climax – ici perdu entre la débauche d’effets et une action faible en puissance -. Mais ces défauts sont d’une commune mesure face à l’ambition du projet, et le fait qu’il tient sacrément la route. Un film où l’ennui n’apparaît pas, et où on se laisse porter par les meilleurs intentions qui soient.
Inutile de dire que si Comment Je Suis Devenu Super-Héros vous intrigue, c’est l’occasion d’aller le défendre, malheureusement dans vos salons, pour ce qu’il est, mais également pour ce qu’il représente. Une porte ouverte vers un cinéma où la variation de genres peut s’assimiler à une communication grand public, pour que les producteur·ice·s et distributeur·ice·s s’évertuent à la prise de risque, et que l’on réalise l’ampleur thématique du cinéma français, et que cette dernière ne soit plus réservée à un public de niche déterminé à la défendre quand elle est bien trop masquée. Un message à tou·te·s celleux qui voudraient affirmer que ce genre de productions ne peut pas exister dans le paysage français, là où le cinéma devrait être le terrain de toutes les expériences, quelle que soit son origine. Et pourquoi pas ?
Comment Je Suis Devenu Super-Héros, de Douglas Attal. Avec Pio Marmaï, Vimala Pons, Benoît Poelvoorde… 1h37 Sortie le 16 décembre 2020
Aficionado du cinéma de genre mais aussi en tous genres, je grignote de la pellicule et j'use de ma plume depuis un petit moment. Correcteur au même titre que rédacteur, on veut parfois ma peau comme celle de Roger Rabbit mais ma carrure à la Vin Diesel (ma calvitie surtout) me permet de survivre tant aux mauvais films qu'aux menaces de mes partenaires d'écriture. En fait, je suis surtout là pour parler 7ème art sans langue de bois mais toujours avec le sourire, en espérant transmettre mon insatiable soif de découverte !
Merci à Elie Bartin pour la bio !
Comment Je Suis Devenu Super-Héros : polar aux super-pouvoirs
Il en aura généré des attentes, le film de Douglas Attal. Vendu comme le “premier film de super-héros français” (c’est faux, mais forcément, ça attire), le métrage est attendu au tournant, tant il représente un carrefour potentiel pour le cinéma français : porte-étendard d’une industrie qui décide d’y aller franco et de proposer à l’écran des propositions excessivement rares dans le paysage hexagonal, ou preuve supplémentaire que les investisseurs ont “raison” de ne pas miser sur un cinéma considéré par le grand public comme “hollywoodien” ?
Il faut cependant concéder une certaine hypocrisie volontaire dans ces propos introductifs. Oui, il y a un cinéma de genre en France, des propositions diverses et une variété qui en 2021 n’a rien à envier à personne (d’autant que même si cette chronique a été rédigée lors de la découverte du film en 2020, sa sortie en VOD suit la déferlante que le cinéma hexagonal nous a mis dans la tronche, entre Médecin de nuit, La Nuée, Teddy, Méandre, Oxygène, Annette, et ce à quelques semaines d’intervalle). La différence reste dans ce qui existe et ce qu’on nous vend, éternel dilemme qui laisse à penser à qui ne fouille pas plus dans les sorties annuelles que le cinéma français, ce sont des blagues racistes autour d’une table, ou trois pécores qui se rencontrent et tombent amoureu·ses·x. Pourtant, et on l’a vu avec Teddy, qu’on ne vous conseillera jamais assez, les propositions fusent et continuent d’être foisonnantes : que ce soit l’horreur avec le Grave de Julia Ducournau – Titane arrive, et on en frémit d’avance ! -, le Ghostland de Pascal Laugier ; l’action futuriste de Arès – qui a malheureusement connu une sortie en salle anecdotique -, La Dernière Vie de Simon, Seul(s), il y a du cinéma de science-fiction. Et que dire des productions Europa Corp, qui si elles laissent à douter par leur qualité laissent entrevoir des possibilités bien présentes – Valérian Et La Cité Des Mille Planètes avait beau être con comme pas deux, c’était quand même magnifique à regarder – ? Un paysage cinématographique en réalité riche, mais qui peine à se démarquer tant le marketing, lui aussi, manque cruellement de budget. Pourtant, Comment Je Suis Devenu Super-Héros a réussi à se faire entendre, à susciter des attentes, et surtout à jouer sur une dualité que l’on semblait impossible : prendre des comédien·ne·s habitué·e·s à des choix “auteurisants” – on pense particulièrement à Swann Arlaud et Vimala Pons – et les inclure dans un film pulp influencé par l’univers des comic books en France. Une manière de montrer que le cinéma est aussi un mélange de tout, et qu’il faut en apprécier, ou du moins accepter d’en découvrir toutes ses facettes.
S’il n’arrive donc pas dans un paysage vierge de toute proposition originale dans son genre, Comment Je Suis Devenu Super-Héros fait couler de l’encre, et tant mieux, tant on n’aurait rêvé meilleur porte-parole pour réveiller la machine productrice hexagonale. Le film, avant toute chose, a une sacrée gueule pour son budget plus que limité. Un exploit quand il s’agit d’effets numériques complexes, et de décors pour la plupart en fonds verts. L’illusion est réelle, et la volonté de Douglas Attal d’ancrer son intrigue dans un cadre ultra-réaliste sert parfaitement son propos. L’action se passe de nos jours, dans notre monde, avec une légère différence : les “supers” existent, leur existence n’est pas un sujet à débat tant ils font partie de la société. À ce titre, pas besoin de les iconiser outre-mesure : lorsqu’ils apparaissent, ce sont juste des gus en costume, avec des noms souvent ridicules, ce qui peut ragouter au premier abord mais au final les inclut parfaitement dans notre réalité – et quand on y réfléchit, Captain America, aussi iconisé soit-il, c’est pas plus glorieux -. Suivre le parcours d’un flic menant l’enquête ne crée alors aucune frustration, et on savoure celle-ci avec plaisir.
Ce flic, c’est Moreau (Pio Marmaï), qui se retrouve affublé d’une nouvelle partenaire, Schaltzmann (Vimala Pons), et qui doit enquêter sur une mystérieuse drogue dotant ses usager·e·s d’un pouvoir éphémère de pyromanie. Nul doute qu’il y a là une entreprise malsaine utilisant les pouvoir d’un des “supers” disparu, surtout lorsque l’on réalise que cette drogue, expérimentale, est encore instable et provoque des effets secondaires allant jusqu’à la mort. Moreau utilise le réseau de Monte Carlo (Benoît Poelvoorde), ancien justicier en retraite forcée car atteint de Parkinson – forcément, la téléportation avec la tremblote, ça a moins de gueule – pour mettre à mal le réseau. Dans un univers où les pouvoirs sont monnaie courante et acceptés par tou·te·s, un élément d’enquête parmi tant d’autres, Douglas Attal choisit de jouer au film de flic, dans ce qu’il a de plus français. L’impression de voir un épisode de PJ n’est jamais loin, mais s’agrémente d’une investigation solide, aux contours certes simples mais dévoilant ses atours avec malices. Jeu sur les dialogues qui rend le duo rapidement attachant, on suit l’avancée avec implication.
Mais ce qui fait le sel de Comment Je Suis Devenu Super-Héros, c’est son identité et la cohérence de son univers. D’apparence simple, il ne souffre d’aucun défaut de pertinence, et puise donc sa richesse dans ses détails et ses sous-textes. Visuellement, les scènes d’action, si elles souffrent d’une mise en scène au montage trop énergique ne permettant pas de les savourer, bénéficient d’effets à la hauteur d’une histoire de cette envergure ; jamais cela ne semble cheap ou dépassé face aux grosses machines américaines. L’idée de jouer avec le concept de “l’origin story“, pour le détourner et en faire un récit de révélation et d’acceptation de soi, a aussi son importance : on y trouve des thématiques propres à l’univers super-héroïque, les responsabilités qui incombent à des personnes dotées de pouvoirs, leur envie de s’y abandonner mais de ne pas succomber à leur facilité. Dans sa démarche auteurisante, Douglas Attal puise plus son inspiration chez Raimi que chez Feige, et ce pour notre plus grand plaisir. L’antagoniste, campé par un Swann Arlaud impliqué et crédible, est à peine esquissé mais rapidement situé dans des enjeux que l’on comprend, si bien que son manque de développement ne ternit pas le résultat final.
Évidemment, le film a ses défauts. Des personnages assez archétypaux, servant avant tout à faire avancer l’intrigue le plus rapidement possible. Une dimension dramatique autour du personnage de Monte Carlo, tiraillé par son incapacité physique à assurer les mêmes exploits qu’auparavant, sacrifiée pour en faire un “comic-relief” certes efficace mais dont on aurait apprécié plus de profondeur. Une Leïla Bekhti totalement anecdotique et dont le rôle pourrait ne pas exister sans que cela n’affecte l’histoire. Et une volonté de s’inscrire dans les clichés inhérents au genre, quitte à progressivement laisser de côté ce qui faisait l’identité du métrage pour offrir l’éternel climax – ici perdu entre la débauche d’effets et une action faible en puissance -. Mais ces défauts sont d’une commune mesure face à l’ambition du projet, et le fait qu’il tient sacrément la route. Un film où l’ennui n’apparaît pas, et où on se laisse porter par les meilleurs intentions qui soient.
Inutile de dire que si Comment Je Suis Devenu Super-Héros vous intrigue, c’est l’occasion d’aller le défendre, malheureusement dans vos salons, pour ce qu’il est, mais également pour ce qu’il représente. Une porte ouverte vers un cinéma où la variation de genres peut s’assimiler à une communication grand public, pour que les producteur·ice·s et distributeur·ice·s s’évertuent à la prise de risque, et que l’on réalise l’ampleur thématique du cinéma français, et que cette dernière ne soit plus réservée à un public de niche déterminé à la défendre quand elle est bien trop masquée. Un message à tou·te·s celleux qui voudraient affirmer que ce genre de productions ne peut pas exister dans le paysage français, là où le cinéma devrait être le terrain de toutes les expériences, quelle que soit son origine. Et pourquoi pas ?
Comment Je Suis Devenu Super-Héros, de Douglas Attal. Avec Pio Marmaï, Vimala Pons, Benoît Poelvoorde… 1h37
Sortie le 16 décembre 2020
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