[CRITIQUE] Grave : Un drame sanglant à consommer sans modération

S’il y a bien un film qui a fait grand bruit ces derniers temps c’est bel et bien le premier long-métrage de Julia Ducournau. Remarqué à la Semaine de la Critique au Festival de Cannes l’année dernière, encensé par la critique, glorifié par M. Night Shyamalan qui y est allé de son joli petit commentaire sur Twitter, récompensé dans de nombreux festivals, Grave a déjà eu une vie bien remplie bien avant sa sortie dans les salles obscures. Mais qu’est-ce qui fait que ce film fasse autant d’effet ? Film d’horreur, film gore, tragédie, drame, film d’auteur, ce film est tout bonnement inclassable et pour cause, c’est un ovni et c’est surtout une merveille cinématographique.

Une réflexion sur l’être humain

Grave n’est pas qu’un simple film d’horreur comme on a l’habitude de voir ces dernières années. Julia Ducournau offre là de la matière (fraîche à l’occurence) pour une réflexion beaucoup plus poussée sur la condition humaine. Justine est encore vierge de tout lorsqu’elle débarque dans son école de vétérinaire : de sexe, de garçon, d’alcool, de drogue et surtout de viande puisque dans sa famille tout le monde est végétarien. Sauf que pendant sa période de bizutage, Justine est obligée de manger de la viande. Ce geste pourtant anodin va entraîner chez elle une soif de chair humaine et qui révélera sa vraie nature.

Comme disait Shakespeare dans Hamlet, être ou ne pas être telle est la question. Parce qu’il ne s’agit pas juste de montrer le cannibalisme comme simple monstruosité, c’est le montrer comme un passage de l’adolescence vers le monde adulte et tous les risques et les dérives qu’il peut comprendre. C’est avant tout de savoir qui on est en tant qu’être humain et qui on veut devenir. Est-on obligé de suivre la lignée familiale parce qu’il en est ainsi ? Sommes-nous condamnés à être comme les autres ? Ou alors est-il possible de se détacher de cette voie tout tracée mais à quel prix alors ?

Parce que dans le film Justine est tout l’opposé de sa soeur Alexia, elle aussi cannibale mais qui contrairement à Justine, ne fait plus le distinguo entre le bien et le mal. Grave repose sur toute cette lutte psychologique avec soi-même pour repousser qui l’on est, si tenté qu’on y arrive évidemment. La mise en scène est brillante notamment la séquence où Justine se met à saigner du nez lorsqu’elle observe longuement son colocataire Adrien. Toute cette bataille intérieure se reflète en un fragment de secondes lorsque le saignement commence comme si, pour éviter de manger son colocataire, elle se mangeait intérieurement car elle sait pertinemment que ce qu’elle a n’est pas normal. Justine représente encore cette dimension humaine et est prête à se faire du mal plutôt que de faire mal aux autres.

Sans compter cette scène finale (que je ne dévoilerai pas évidemment) qui donne encore plus de sens, de pertinence et surtout d’impact au film. Comme un dernier électrochoc, une dernière morsure avant l’écran noir. C’est extrêmement malin, c’est extrêmement bien amené et filmé par Julia Ducournau qui dépeint ce passage du monde de l’adolescence au monde adulte de manière brutale, frontale, sanglante mais qui dépeint également une tragédie où personne n’en ressort indemne.

Des performances affûtées comme des lames de couteaux

Pour son premier grand rôle, Garance Marillier ne fait pas dans la demie-mesure. Elle incarne à la perfection cet équilibre fragile entre une jeune adolescente paumée et une future adulte redoutable. D’un simple regard elle transcende l’écran pour vous piquer à vif dans la moelle épinière et vous obliger à observer cet écran sans pouvoir bouger. C’est dingue l’effet hypnotique que cette jeune fille arrive à avoir. On saluera la performance digne des plus grands qu’elle a réalisé pour cette séquence sous les draps où Justine se métamorphose aussi psychologiquement que physiquement. Cette espèce de transe est assez impressionnante à voir il faut l’avouer.

L’autre personnage très intéressant du film et qui complète assez bien avec Justine c’est justement son colocataire homosexuel Adrien, brillamment joué par Rabah Nait Ouefalla. Jamais dans le jugement, il est là pour aider comme il peut Justine parce que comme elle, il fait partie de ce monde impitoyable des études supérieures et du bizutage. Il la comprend, il la soutient sans jamais la juger. Une belle complicité à l’écran qui amène enfin un peu de douceur dans ce film de bruts.

Niveau mise en scène, ce film à est revoir au moins une fois dans sa vie juste pour saisir toutes les subtilités des plans et se rendre compte au final que chaque seconde de chaque plan est calculée et sert la cause de ce film. Rien n’est laissé au hasard et c’est assez impressionnant pour une premier film d’avoir une telle maîtrise de sa caméra.

Malgré tout, âmes sensibles s’abstenir, ce n’est pas pour rien que le film est interdit aux moins de 16 ans. Certains scènes sont extrêmement violentes bien qu’au final elles ne représentent qu’une petite partie du film. Grave n’est pas simplement un film d’horreur, déjà dans sa catégorie c’est clairement le meilleur. C’est intelligent, c’est paradoxalement très propre et il est clair qu’il ne laisse personne indifférent. S’attaquer au cannibalisme il faut oser, maîtriser son sujet de cette manière ça relève du grand art et c’est ce que Grave est, du grand art. A consommer sans modération.

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