Dans les contours de nos cinéphilies respectives, la fascination envers le cinéma coréen a été une période quasi-obligatoire. Sur une période très rapprochée, les thrillers souvent associés au cinéma de genre de Park Chan-wook, Bong Joon-ho ou encore Kim Jee-woon ont fait leurs ravages quitte à biaiser nos perceptions quant aux propositions de la péninsule. Si, de surcroît, nos pérégrinations en terres sud nous ont fait découvrir Hong Sang-soo, Lee Chan-dong, Kim Ki-duk ou Na Hong-jin, c’est le combo assuré de ceux qui nous font retomber d’encore plus haut. Car sans prétendre que la Corée ne compte que cette poignée d’auteurs – les autres exemples font foison –, l’intérêt du grand public a ouvert une fenêtre de Pandore permettant à des propositions bien moins nobles de gagner en visibilité. Une fois découverts, d’autres thrillers bien moins engageants, des comédies hasardeuses remplies de bruitages accentués, ou des drames larmoyants que seul Guillaume Canet égale chez nous, l’industrie coréenne nous apparaît comme d’autres, capable du pire comme du meilleur.
Dans le troisième registre, celui des drames larmoyants, l’exercice est rôdé. On sait que culturellement les traits sont exagérés quel que soit le genre auquel s’affilie l’œuvre et que ce n’est pas un violon mais l’orchestre à cordes qui est convié pour nous tirer les lacrymales. Pour son second film, Way back home, la réalisatrice Bang Eun-jin choisit de mettre en images l’histoire de Jang Mi-jeong, arrêtée en 2004 à l’aéroport d’Orly en possession d’une importante quantité de cocaïne et emprisonnée deux ans durant sans procès. Injustice, déboires administratifs, cellule familiale éclatée qui fait tout pour se réunir, le terreau est fertile et le sujet en or pour s’assurer un public acquis. À sa sortie en 2013, Way back home est un franc succès, gagne des prix et fait partie de ces productions dont le public coréen raffole, bien plus que ce qui nous parvient.
Dans le récit mis en scène par Bang Eun-jin, tout est automatique. Les faits survenus dans le quotidien déjà trouble de son héroïne, ici renommée Song Jeong-yeon, n’ont besoin que de peu d’arrangements tant leur absurdité factuelle les rend fascinants. La trajectoire de cette femme qui accepte une transaction qu’elle ne pense pas illégale pour sortir sa famille de l’embarras financier ; l’aveuglement volontaire de l’administration coréenne qui préfère noyer le dossier dans l’oubli plutôt que d’assumer un scandale ; la déportation dans une prison martiniquaise où elle ne peut plus communiquer : tout nous apparaît comme une injustice. L’empathie n’a d’autre choix que d’être immédiate, mais la réalisatrice sait qu’elle ne veut pas seulement nous émouvoir avec cette histoire déjà bien lourde. L’idée est de nous éprouver, nous faire subir le même chemin de croix que la protagoniste, que nous ne soyons qu’humilié·es par sa souffrance afin d’hurler à l’ultime chef-d’œuvre, de ceux qui terminent le cinéma, au sortir de la salle.
Si l’on repense à l’horrible Miracle in cell No.7 (plus supportable que son remake turc), on se souvient que pour faire pleurer, il suffit d’instrumentaliser les gosses. Rien de tel qu’un petit bout de chou qui chouine, veut revoir ses parents et ça, Way back home l’a bien compris. Sans renier la vraie séparation familiale, qui a évidemment été une épreuve pour les concerné·es, le traitement qu’en fait Bang Eun-jin a tout de putassier. Incursion chez Kim Jong-bae, qui quand il ne lutte pas contre l’administration pour retrouver sa compagne – en témoigne une horrible scène d’immolation – rassure la petite dont le seul dialogue est de savoir quand elle reverra sa maman. C’est mignon, c’est affreux, c’est indéniable, mais les gros plans sur les larmes, c’est beaucoup. Les fautes de ton s’enchaînent, jusqu’aux déboires dans la prison martiniquaise, une enceinte tenue par une Corinne Masiero étonnante en matonne qui prend plaisir à violer les détenues, et qui n’a été dirigée qu’à coups d’exagérations diverses. Pourtant, dans cet amas de mauvais goût certain, quelques éléments l’emportent.
Si l’on relève plus haut les passages à la limite de la caricature où Corinne Masiero – toujours elle – enchaîne les regards lubriques, renifle des culottes où hurle que “face de citron” doit lui donner du plaisir, le cadre de la prison martiniquaise est palpable en cela qu’il est filmé dans un décor réel. De rares séquences où l’on voit d’autres détenues et d’autres maton·nes – pour la majorité acteur·ices non-professionel·les – renforcent cet aspect réaliste. Plus encore, le travail sur le piège linguistique qui enferme notre héroïne est quant à lui précis et pernicieux. En Martinique, pas de Coréen·nes à l’ambassade qui pourraient aider Song Jeong-yeon à combattre l’administration qui lui refuse son procès. Au-delà d’un juge qui s’avère compréhensif mais ne cherche jamais à l’aider plus que sa fonction ne le lui permet, on retient une avocate qui ne fait jamais l’effort de la comprendre et considère que ce n’est pas son travail et que la prison est un quotidien acceptable tant qu’un·e interprète n’est pas de la partie. En parallèle, la construction de l’ambassadeur chargé du dossier en Corée est celle d’un antagoniste fourbe. L’administration prend forme humaine, cynique, rendant l’injustice plus grande, jusqu’à une scène où l’intéressé se déplace et tente de persuader la prisonnière d’accepter son sort, là où il a le pouvoir de l’aider. Après tout, la Martinique, c’est le soleil, ce sont les vacances. Des qualités d’immersion qui ne contrebalancent que peu les défauts déjà énoncés, et qui laissent entrevoir des pistes intéressantes trop peu exploitées.
Dans sa volonté de ne coller qu’au récit de son personnage, Bang Eun-jin laisse de côté les questions politiques. Elle nous montre une administration infecte où nous voyons clairement les représentant·es du peuple laisser ses ressortissant·es dans le pétrin, mais ne le déploie que comme un accessoire de sa narration dramatique. La critique des décisions qui ont calculé les deux ans d’emprisonnement de Song Jeong-yen est présente, mais reste effleurée, quand le plus important reste de montrer celle qui refusera d’être indemnisée – quelle noblesse, on applaudit, c’est si agréable de se faire enfumer par le système ! –rentrer chez elle, et retrouver les siens. Le titre Way back home nous l’annonce, et crée aussi cette dimension fataliste, montrant qu’il est déconseillé, voire impossible de lutter contre les institutions, et que si le caractère humain et intime est résolu, on doit s’en estimer heureux·ses. Constat amer mais réaliste, et surtout l’une des rares choses intéressantes que l’on peut tirer du film de Bang Eun-jin, drame larmoyant de plus prêt à risquer la noyade dans un océan de sosies.
Way back home, de Bang Eun-jin. Écrit par Yoon Jin-ho. Avec Jeon Do-yeon, Go Soo, Kang Ji-woo… 1h47.