Deux ans après Adoration et son exil naturaliste en compagnie d’enfants perdu·es dans leurs émotions et leur envie d’émancipation, Fabrice Du Welz propose Inéxorable, nouvelle plongée dans la violence de mœurs, jouant avec des codes faisant penser à l’ami Claude Chabrol, et nouvelle collaboration avec Benoît Poelvoorde, qu’il se complaît à pousser dans de nouveaux retranchements.
La famille Drahi-Bellmer vient d’emménager dans une grande propriété que Jeanne, éditrice, hérite de son défunt père. L’occasion pour Marcel, auteur d’un grand roman à succès, Inexorable, de retrouver le goût pour l’écriture et son inspiration dans ce nouveau cadre. Alors que la famille commence à prendre ses marques, une énigmatique jeune femme, Gloria – prénom récurrent chez Du Welz, qui n’annonce généralement rien de bon – fait irruption, et intègre leur quotidien. Aux abords innocente, elle s’avère rapidement pernicieuse, et sa venue se comprend comme n’étant pas le fruit du hasard. Prenant ses aises et gagnant en importance auprès de Lucie, la fille de Jeanne et Marcel, Gloria use de stratagèmes mensongers pour faire virer la domestique, Paola, et se voit proposer sa place. Une fois installée, elle peut entamer son plan pervers et destructeur, nourri par l’étrange obsession qu’elle semble éprouver envers Marcel…

Dès les premiers instants, Fabrice du Welz instaure une ambiance oppressante, qui laisse à présager la spirale de violence qui va s’installer. Par l’adoption du chien Ulysse, destiné à amuser Lucie pour que cette dernière cesse de “réclamer une petite sœur”, et la mention de quelques travaux urgents à opérer dans la maison, on comprend l’équilibre fragile du couple, ce château de cartes qui peut s’abattre en un éternuement. Le loup chargé d’apposer le souffle qui ébranle ces fondations peu solides, c’est Gloria, qui dès ses premiers pas dans l’hôtel du village nous apparaît comme menaçante. Le mystère qu’elle fait planer autour d’elle, comme la mort de ses parents, semble dissimuler des ramifications avec la famille. Mais à quel point? Dans sa fantaisie scénaristique, Du Welz la joue multi-facettes, offre différentes pistes et interprétations plausibles qui plongent le/la spectateur·ice dans un abîme où chacun·e se bataille le bout de gras qu’iel jure avoir compris, où tout le monde a raison et tort à la fois.
Gloria fait un chantage à Marcel avec des lettres qu’elle a dérobées dans son bureau et qui, si elle les dévoile, révéleront de lourds secrets qu’il tente de cacher à son épouse ? Le public se scinde, une partie persuadée que c’est là le but premier de la jeune femme et que ses lettres ont un rapport avec sa filiation sur lequel le doute plane, tandis que l’autre avance qu’elle a pu les trouver là dans son rôle de domestique, y trouvant alors un nouvel élément pour acérer son engrenage. Les éléments passant leur temps à se contredire tout en émettant une vérité vivace, tous les scénarios se valent, montrant qu’au final, ce n’est pas là l’important. Quelles que soient ses motivations, que ce soit sa passion romantique pour un auteur dont elle a fantasmé les vers jusqu’à la lie, ou une sombre histoire de vengeance que Marcel ne semble corroborer qu’à moitié – ayant peur de certains éléments ravivant des souvenirs, mais restant impassible devant d’autres –, c’est la folie passionnelle, à tendance meurtrière, qui nous intéresse ici. Une folie qui va crescendo, enfermant les personnages dans de nouveaux retors, que Du Welz se complaît à magnifier en resserrant ses cadres.
Car au-delà d’un scénario plutôt bien ficelé – les faiblesses d’écriture se rencontrent surtout autour des personnages, notamment féminins, qui sont en enchaînement d’archétypes monocordes, là où Marcel a droit à de nombreuses nuances – et qui est d’une efficacité redoutable par un rythme idéal, la mise en scène d’Inexorable est d’une maestria indéniable. Le choix de cadres toujours signifiant selon le point de vue abordé, l’utilisation des couleurs, dans les costumes jouant sur la dualité bien/mal jusqu’aux néons empruntant au giallo, et jouant également sur les significations, rien n’est laissé au hasard. Éloigné de la caméra embarquée d’Adoration, Fabrice du Welz adapte son ton à ce qu’il veut raconter, et se met au service de ses histoires. On jubile devant des choix de plans qui nous apparaissent toujours judicieux, et offrent un rendu ludique, où l’on passe son temps à décrypter les indices visuels.
Dire qu’Inexorable est une réussite totale serait un peu exagéré, certaines facilités ternissant une partie de la narration et, comme cité plus haut, une sous-écriture de certains protagonistes nécessaires à l’histoire se faisant sentir – heureusement pour nous, cette même simplicité fait que les pièces s’imbriquent bien. Comme à son habitude, Fabrice du Welz se veut admirateur du chaos, une descente vers les méandres infernaux millimétrée, et orchestrée avec une caméra qui nous condamne à éructer de frissons dès qu’elle commence à nous aguicher la rétine. Et si l’on peut en sortir dégoûté·e devant un spectacle aussi déshumanisé, on en demande encore.
Inexorable, de Fabrice du Welz. Avec Benoît Poelvoorde, Mélanie Doutey, Alba Gaïa Kraghede Bellugi… 1h38
Sortie le 26 janvier 2022
[…] la sortie d’Inexorable le 6 avril prochain, nous avons eu l’occasion de rencontrer le réalisateur belge Fabrice du […]