Nouvel ouragan venu de la péninsule nippone, Mariko Tetsuya voit ses films distribués dans nos terres ! Pour découvrir ce réalisateur japonais hors-normes, Capricci nous propose un diptyque, Destruction babies et Becoming father, qui aborde la société du soleil levant par différents prismes de violence. S’il utilise quelques codes du rape and revenge dans le second, celui qui nous intéresse ici s’axe comme un bal de bastons en tous genres, rythmé aux coups de poing et aux effusions sanguines.
Telle une banalité survenue de nulle part, accompagnant l’envie de se lever du matin, la violence de Taira a une nature incompréhensible. Tabassé par un gang local, ce n’est pourtant pas que la colère et l’envie de vengeance qui anime le jeune homme, tant il clame son amour du combat, et s’en prend à des cibles aléatoires – même si certains critères, qu’il considère “au niveau” rentrent en compte -. Lui que la société a gentiment laissé de côté, orphelin abandonné dans une décharge aux côtés de son frère, se rebelle et montre que les invisibles peuvent faire du bruit. Le bruit, c’est celui des cranes écrasés, des corps tombés, des vitrines éclatées et des cris apeurés des populations qui le voient débarquer au détour d’une rue, provoquer rapidement son petit monde et faire goûter le pavé à quiconque se met en travers de sa route. Sans méthode, sans art martial particulier, juste l’envie de tabasser, de sentir des os craquer, des souffles s’estomper, des corps souffrir de l’action de ses mains congestionnées. Machine irréelle, qui perd quelques manches face à des ennemis préférant attaquer en surnombre, mais se relève toujours, prêt à terminer tout acte destructeur qu’il initie. La gratuité de ses actes nous ferait presque penser à une partie de GTA hors-scénario, où l’on s’amuse à voir qui obtient le plus d’étoiles de recherches avant de se faire plomber par l’arrivée des gradé·es.

Pour parfaire ce chaos ambiant, Mariko choisit de ne pas esthétiser sa mise en scène. Comme on le précise plus tôt, la propension de Taira à se jeter dans l’arène se fait sans méthode ou art martial, juste par le fruit d’une rage inarrêtable. Aucune chorégraphie, du moins à relever, mais l’impression qu’au contraire, tout est improvisé, et les personnes que nous croisons réellement frappées, comme pour accentuer le réalisme de la situation. La caméra, elle, se veut nerveuse, tentant de suivre les actes sans jamais emprisonner dans ses cadres cet électron libre, qui fuit le champ pour accélérer la libido destructrice. L’ambiance, elle s’insinue progressivement. Face à l’absurdité de la situation, il est difficile de ne pas rire, de ne pas se laisser aller à une euphorie généralisée, portée par notre voyeurisme ici galvanisé. On prend du plaisir à regarder cette violence gratuite, et ça, le réalisateur en est conscient, faisant passer notre amusement à des rires de plus en plus nerveux, avant de nous mener à la suffocation. L’arrivée de Yuya, qui devient l’acolyte de Taira, ajoute au malaise. Celui que l’on pense s’approcher de l’usine à coups pour survivre s’avère encore plus fou que lui, avec des relents psychopathes bien présents. Lorsque Taira est dans l’affrontement, la volonté de se dépasser et de se dire que son prochain adversaire peut le mettre à terre – ce qui ne justifie pas la démarche -, Yuya se veut pernicieux, et surtout lâche. Son envie de défouloir lui fait choisir des cibles qu’il considère “faibles”, du moins selon sa conception. Enfants, personnes âgées, femmes – le masculinisme du personnage, qui considère forcément l’élément féminin comme dominable, fait d’ailleurs rire son acolyte, plus conscient que lui quant au ridicule de cette pensée – deviennent les victimes de cette nouvelle dynamique du chaos, Taira comprenant rapidement que la folie de son partenaire l’entraîne vers le niveau supérieur, sert à rameuter les autorités plus rapidement, et par conséquent lui fournir de nouveaux ennemi·es, à sa hauteur. Pourtant, là où l’on pense la violence partir dans un nouvel apparat, et devenir plus ludique, le point de rupture se crée, et le cadre se resserre, devenant une prison pour le/la spectateur·ice.
Yuya incite Taira à voler un véhicule, à s’éloigner de la métropole pour s’en prendre aléatoirement aux gens qu’ils croisent sur la route. Enlevant par la même occasion Nana, une escort-girl qui se voit méprisée par Yuya pour sa fonction – là où Taira est indifférent, voire respectueux envers celle qui, selon lui, vient des mêmes bas fonds que lui –, nous passons d’un cadre ouvert, un grand terrain de jeu à l’habitacle de la voiture, laissant Yuya faire exploser sa crise d’ego. Vociférant ses envies meurtrières, hurlant à tout va à quel point il est habité par le chaos, il devient insupportable, nous faisant regretter sa présence, et nous fait prendre compte de notre culpabilité de voyeur·se. Miroir des spectateur·ices, qui finit par hurler qu’il en a marre et veut que tout s’arrête, Yuya est cet esprit malade, qui a voulu suivre la fiction comme un divertissement, et se voit rappelé à la réalité. Par ce biais, Mariko dresse un parallèle amer avec notre consommation d’images, l’indifférence à la gravité par la banalisation des actes, mais embrasse la quête jusqu’au-boutiste de ses personnages, n’apposant qu’une morale indicative, qui ne devient jamais maîtresse du récit, pour que chacun·e reste libre de ses interprétations. Dans ce renversement des violences, il fait exploser le personnage de Nana, qui s’empare du récit et le fait sien, montrant que son besoin de survie surpasse les besoins de violence de son ravisseur. Ironie quand Yuya, après avoir attaqué des femmes, violé l’une d’elles, les pensant inférieures et incapables de se défendre, se fait désarçonner par celle qu’il choisit de dominer, et qui contrairement à lui franchit bien plus de limites dans sa violence, montrant que l’instinct n’a pas de genre, et dépasse tout jugement systémique.

Aussi dérangeant que jouissif à regarder, Destruction babies fait remonter le spectre d’Haneke, et accuse son public de ses envies de divertissements…tout en cherchant à le divertir, à lui apporter ce coït primal recherché, prenant l’humain pour le grand malade qu’il est. Il se veut surtout le témoin d’une société tout aussi malade, qui abandonne ses enfants dès lors qu’il ne suivent pas les normes, pour s’étonner que ces derniers tournent mal. Un regard plus clair que celui qu’il appose dans Becoming father, quant à lui plus appréciateur des normes genrées japonaises, sur lequel il serait pourtant bon de s’interroger.
Destruction babies, de Mariko Tetsuya. Avec Yagira Yuya, Komatsu Nana, Suda Masaki… 1h48
Film de 2016, sorti le 27 juillet 2022