Futur proche. Une personne apprenant sa mort imminente peut choisir de se faire cloner pour que ses proches n’aient pas à affronter le deuil. Véritable éponge, le double a pour mission de se renseigner au maximum pour copier les traits, la personnalité, et s’approprier les goûts de son/sa propriétaire à sa mort, afin que l’illusion soit parfaite. Mais si le clone refusait de se conformer à son identité déjà écrite ? Pire, et si la personne à la mort annoncée s’avérait en rémission, et disposée à finalement continuer le cours de sa vie ? Il y a là un semblant d’épisode de Black Mirror, auquel on rajoute une forte dose de cynisme, un humour étrangement mené mais qui parvient à faire mouche dans son flirt constant avec la noirceur du sujet.
On pourrait aussi penser à Womb, troublante fresque sur le thème du clonage, mais ici, on nous évite Eva Green qui tente de créer un œdipe à son môme afin de retrouver son mari défunt. Pas si malsain, ce Dual ? Loin s’en faut, tant c’est dans cet humour, qu’il distille avec une froideur totale, que le film insère cette dimension inquiétante, comme si les rires jaunes qu’il nous provoque n’étaient que les masques dissimulant nos malaises. On pense notamment à la vidéo introductive de la compagnie proposant l’acte de clonage, montrant le double embrasser les parents du défunt, alors que ce dernier est toujours pendu à la rampe d’escalier. Le cynisme détone, mais lorsque la transaction au demeurant simple s’empare du quotidien de Sara (Karen Gillan), notre héroïne, la dualité opère, et les rires alternent avec la gêne. La double de cette dernière, bien plus active qu’imaginé dans la prise de possession des lieux communs, obtient dès la première ellipse les faveurs du mari, qui abandonne son épouse devant ce modèle 2.0, et celles de sa mère, préférant cette fausse enfant aimante qui n’a pas atteint à son égard la lassitude et l’épuisement que Sara ressent. Le fil rouge du récit fait son entrée lors de l’annonce de la rémission de Sara, et lorsque sa double refuse d’être déprogrammée. La loi est claire : si un·e double désire vivre alors qu’iel n’a plus de remplacement à effectuer, un duel à mort doit être organisé.
Avec ce point d’ironie, Riley Stearns pose son regard sur le voyeurisme nauséabond qui nous entoure. Le dit duel, nous en voyons un épisode dès l’introduction, la cruauté de la mise à mort se voyant couverte par les applaudissements d’un public venu célébrer ces gladiateur·ices modernes, et le ratio d’une audience télévisuelle conquérante. Trent (Aaron Paul), qui accepte d’entraîner Sara au combat, le dit lui-même : parmi les cinq objets de mort dévoilés le jour du duel, l’arme à feu est à privilégier, mais cette dernière est rarement sélectionnée par le jury, car moins “spectaculaire” pour le public. Au-delà de cet élément, qui se voit plus objet de contextualisation qu’autre chose, et n’est jamais exploité, le récit se centre sur le questionnement d’identité de Sara, campée par une Karen Gillan étonnante, qui parvient à faire exister les deux personnages malgré leur supposé décalque. L’annonce de sa survie la fait réaliser ce qu’elle a longtemps délaissé, et la morosité d’une vie qui ne lui apporterait aucune satisfaction si elle emportait le combat. Ce duel vaut-il vraiment le coup d’être gagné ?
Cet autre sujet, plus présent que la satire politique en fond, est lui aussi survolé. À l’image de Sara qui ne ressent jamais pleinement son désir de survie, Dual garde cet aspect morbide, glacial dans ses teintes, qui accompagne pleinement son conte macabre, même s’il l’empêche par extension de dépasser son postulat. Un moment appréciable, qui convoque beaucoup de satires que l’on retrouve actuellement dans le cinéma d’anticipation, mais qui s’oublie un peu trop vite.
Dual, écrit et réalisé par Riley Stearns. Avec Karen Gillan, Aaron Paul, Theo James… 1h35