Toujours dans leur idée de défendre les petites gens face aux enfers capitalistes, Benoît Delépine et Gustave Kervern s’attaquent à un sujet qui cette fois concerne tout le monde, sans distinction de classe sociale : le méandre du tout-technologique. Ours d’Argent à la dernière Berlinale, autant dire que le film des deux trublions du Groland est attendu comme un Messie social. Effacer L’historique se pose en constat, non sans cynisme, de l’absurdité qui nous entoure.
Marie, Bertrand et Christine sont trois gilets jaunes, qui se sont rencontré·es sur un rond-point durant le mouvement social, auquel iels vouent un attachement particulier. Depuis, iels partagent leurs quotidiens et déboires. Tou·tes trois se sentent perdu·es face à l’invasion technologique, les systèmes d’intermédiaires où l’humain·e ne compte plus. Marie, en proie à sa solitude depuis le départ de son mari et de son fils, s’enfuit dans l’alcool et se retrouve après une soirée de découche face à un maître-chanteur qui la menace de mettre une sex-tape en ligne si elle ne lui fournit pas une certaine somme. Bertrand quant à lui tente désespérément de faire retirer une vidéo où des camarades de sa fille la harcèlent, tout en se laissant régulièrement distraire par une mystérieuse voix féminine. Pour Christine, chauffeuse VTC, c’est la course aux étoiles lui permettant d’obtenir des courses et de travailler décemment, qui est sujet de son incompréhension.

Ces trois intrigues dont on verra l’avancée par moments ne sont que prétexte à donner un but aux personnages tant elles sont noyées dans les mini-scénettes proposées par les réalisateurs. Habitués des road-trips dont chaque étape représente un sketch, Effacer L’historique ne fait pas défaut de forme, à ceci près que nos héro·ïnes ne prennent pas – du moins immédiatement – la route. Le data center californien pour l’une, l’île Maurice pour l’autre, ces deux destinations semblent au final bien lointaines et inaccessibles pour ces Français·es perdu·es qui ont tant de choses à régler. Enchaînement de rencontres grandiloquentes qui donnent l’occasion à Delépine et Kervern d’inviter leur habituel bal de copain·es, permettant ici d’illustrer ces portraits d’asservi·es de la société, qui la subissent ou la manipulent. On pense notamment à la séquence incluant Benoît Poelvoorde où ce dernier joue un livreur « Alimazone » totalement exténué par son travail et au bord de la rupture. Un clin d’œil rapide mais efficace qui ne manque pas de toucher. Vincent Lacoste, Bouli Lanners et plein·es d’autres permettent, elleux-aussi, des passages tant hilarants que grinçants, face à ce carcan social dont nous sommes tou·tes victimes.
Ce qui marque dans Effacer L’historique, c’est l’idée universelle galérienne. Si nous voyons une classe pauvre, débrouillarde, appartenant à cette partie de la population abandonnée de l’état, les problèmes que les protagonistes rencontrent ici sont l’affaire de tou·tes. Qui n’a jamais pesté devant les numéros surtaxés pour des services pourtant inutiles ? Devant ces offres de forfait téléphoniques tout compris à 20 balles alors que l’on paie le triple et que notre opérateur·ice prétend qu’on ne peut pas en changer ? Les situations prêtent à rire tant on voit des personnages dépassés, dont l’incompréhension peut s’apparenter à une forme d’idiotie, mais passé ce premier état le miroir s’amorce, on se voit en abîme, dans ces moments que nous avons nous-mêmes vécus. L’empathie devient réelle, on devient aussi des compagnon·nes de galère qui voulons voir nos nouveaux/velles copain·es surmonter leurs divers obstacles, combattre ces moulins à vent électroniques où l’ennemi·e n’a jamais de visage.

Dans la lignée de leur cinéma, Effacer L’historique est une œuvre qui touche en cela qu’elle s’approche constamment de l’humain·e. Des portraits réalistes sans prismes idylliques de ces gens que l’on ne voit que trop rarement au cinéma. Ils abordent ainsi des problématiques profondes par leur filtre humoristique et critique (l’amour, l’éducation, les difficultés de communications, le rapport à l’autre, l’individualisme par l’enfermement numérique) et parviennent à traiter par le rire des sujets graves sans en occulter la réflexion. Le trio de comédien·nes dont on devine la zone de confort dans certaines séquences parvient à surprendre dans quelques moments à contre-emplois, souvent poussifs mais toujours drôles. Une chose est sûre : ce que Groland a perdu en force d’écriture, le célèbre show hebdomadaire sur Canal + ayant depuis longtemps perdu de sa superbe, se retrouve dans les films de ses auteurs, qui ne perdent pas de leur talent.
Effacer L’historique, de Benoît Delépine et Gustave Kervern. Avec Blanche Gardin, Denis Podalydès, Corinne Masiero…1h46
Sortie le 26 août 2020
[…] l’occasion de la sortie de l’excellent Effacer L’historique, que nous avons déjà relaté dans nos pages, l’envie nous est venue de vous parler de Benoît Delépine et Gustave Kervern, ces deux […]
[…] dire qu’on m’a très bien vendu le film (n’est-ce pas l’équipe de CLAAC et en particulier Thierry). Au départ, on se croirait presque dans « La petite maison dans la prairie », sauf que […]
[…] folle lorsqu’après avoir été dirigé par le duo Delépine & Kervern et leur excellent Effacer L’historique, c’est sous la caméra de son frère Bruno qu’il va développer le sujet. Sous un ton […]