Après des années devant la caméra, notamment avec Trois souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud Desplechin ou plus récemment Compartiment n°6, Dinara Drukarova réalise (et joue) dans son premier long-métrage adapté du roman du même nom, Grand marin. Une traversée sensorielle sur les mers agitées de l’Islande à la recherche d’un soi disparu.
Lili, une femme au caractère bien trempé a tout quitté du jour au lendemain pour partir pêcher sur les mers islandaises. Sans aucune connaissance ou diplôme, elle réussit à convaincre Ian, capitaine de chalutier, de l’embarquer sur le Rebel. La voilà partie pour un voyage qui met ses nerfs à rude épreuve. Les obstacles sont nombreux à bord du Rebel : apprendre à cohabiter avec les autres, dormir à cinq dans une pièce exiguë, pêcher le poisson, soulever des charges conséquentes, le tout avec un temps glacial. Même si Lili ne commence pas ce nouveau travail sous les meilleurs hospices, elle ne baisse pas les bras.

Dinara Drukarova dessine un très beau portrait : celui d’une femme libre, affranchie de toute contrainte et bien décidée à embarquer sur un de ces chalutiers. Mais Grand Marin, c’est aussi comment se faire une place en tant que femme dans un univers majoritairement masculin. Ses compagnons de route ne sont pas là pour la ménager, et celle qui est désormais surnommée “moineau” s’accroche à ce besoin irrépressible d’être en mer même si cela demande de souffrir. Toute la première partie installe le personnage de Lili à travers des séquences brutes, sèches et froides à l’image de son personnage qui ne supporte plus d’avoir un pied sur terre. Ce n’est qu’en mer qu’une accalmie se profile – paradoxalement à la mer agitée -, Lili apprend et s’épanouit. La très belle photographie de Timo Salminen propose un paysage tant âpre que réconfortant, offrant la sensation que tout est possible au milieu de nulle part.
La réalisatrice accentue la détresse de son personnage lorsqu’un incident vient mettre à mal ses projets, l’obligeant à retourner sur terre. Là-bas, c’est un tout autre paysage qui se profile : un endroit dénué de toute âme où les pêcheurs, lorsqu’ils ne sont pas sur mer, retombent dans leurs vieux travers. Ainsi, c’est aussi un portrait du métier avec ses petites joies comme ses plus grandes peines. Un point qui peut être discutable tant le film ne parvient que peu à se positionner entre personnages stéréotypés et personnages plus hétéroclites qui laissent à penser que le monde marin est bien plus que celui qu’on peut voir à la télévision. Sur une durée plutôt courte, on regrette un manque flagrant d’exploration du personnage de Lili. Même si le choix de ne jamais dévoiler ses motivations et son passé est volontaire, ce manque d’informations nous empêche d’être totalement en empathie avec elle, même si son besoin viscéral d’être acceptée par cette famille d’adoption se fait ressentir à chaque instant.
Pour un premier essai, Dinara Drukarova nous propose un film perfectible mais loin d’être inintéressant. Son aspect quasi documentaire lui confère quelque chose de fascinant, nous transportant ailleurs avec une sensibilité propre. Son regard doux sur un métier loin d’être de tout repos en fait une œuvre délicate, loin des préoccupations de la civilisation coincée sur terre ferme, préférant ainsi embrasser le havre de paix que représente la mer.
Grand Marin, de et avec Dinara Drukarova. Écrit Catherine Poulain et Dinara Frukarova. Avec aussi Sam Louwyck, Björn Hlynur Haraldsson… 1h24
Sortie le 11 janvier 2023