Le projet faisait peur. Le projet faisait même très peur. Non pas que l’on rechigne lorsque le cinéma français se penche sur le problème des violences conjugales mais lorsqu’il est couplé à la comédie il y a de quoi se poser de sérieuses questions quant à la qualité et le message du long-métrage. D’autant plus que Mabrouk ek Mechri n’a pas énormément brillé dans sa carrière de réalisateur jusque là.
Zohra est venue habiter en France par amour pour son mari Omar. La jeune femme a réussi à se créer un petit train-train quotidien fait de son travail au supermarché du coin et ses petites balades en bus accompagnées de la conductrice, devenue sa meilleure amie. Tout va bien dans le meilleur des mondes jusqu’à ce qu’Omar commence à se montrer distant et méfiant. Mais Zohra l’aime et elle est persuadée qu’il ne lui fera jamais de mal jusqu’au jour où la première claque tombe. Omar s’excuse, est prêt à retourner ciel et terre pour lui prouver son amour et à quel point il est désolé. Un jour c’est le coup de trop, Zohra veut partir mais c’est finalement l’enfant qu’elle attend de lui qui l’empêche de sauter le pas. Six années se sont écoulées et rien n’a changé, pire encore Omar a désormais le rôle du père super cool auprès de leur fille tandis que Zohra continue de souffrir en silence. Avec l’aide du concierge de la salle de sport où elle bosse le soir en tant que femme de ménage, Zohra va apprendre des techniques de défense pour enfin faire face à l’homme qui détruit sa vie depuis si longtemps.

La véritable question qui se pose est de savoir s’il est possible d’allier comédie – ou en tout cas un ton plus léger qu’à l’accoutumée – avec un thème aussi grave que les violences conjugales. Chacun·e se fera forcément son propre avis mais difficile d’esquisser un sourire après avoir vu une jeune femme se prendre une torgnole par son mari pour une quelconque raison. Pourtant le film commence plutôt bien, sortant Sabrina Ouazani et Ramzy Bedia (même s’il est déjà un peu plus habitué aux drames) de leur zone de confort pour quelque chose de beaucoup plus sérieux. L’idée que Zohra utilise les arts martiaux pour s’émanciper est un point tout à fait intéressant et plutôt bien amené. Toutes les étoiles semblent alignées pour tordre le coup aux préjugés puis là c’est le drame, tout s’effondre et on s’engouffre dans un aspect comique qui n’apporte strictement rien au film.
Était-il nécessaire de rajouter des bruitages à chaque mouvement de coude, de bras ou de jambe comme si on se trouvait dans un de ces films d’arts martiaux ? Était-il nécessaire de filmer les entrainements de Zohra sur fond de musique asiatique comme si elle se préparait à combattre Jackie Chan ? On vous donne la réponse, c’est non. Tout ce superflu rend le film insignifiant et perd de son importance et de son impact. Quand le film tente tant bien que mal de se rattraper, ce n’est que pour mieux sombrer dans le cliché à l’image de ce combat final qui est normalement synonyme de libération, de colère et d’émancipation et qui se transforme en une vulgaire scène de combat avec quelques petites fulgurances toujours aussi inutiles.
Cependant, et de manière assez surprenante, tout n’est pas à jeter dans Kung-Fu Zohra. Le film dépeint les mécanismes qui poussent les femmes battues à rester, la pression exercée, l’envie de partir et les menaces qui sont d’autant plus importantes lorsqu’il y a un·e enfant en jeu. Tout comme le portrait d’Omar (brillamment joué par Ramzy Bedia) qui se débrouille habilement pour être adoré de sa fille, en allant à ses entraînements de foot ou en lui offrant des cadeaux. De quoi rajouter une angoisse à Zohra dès lors persuadée que si elle part, sa fille choisira forcément son père.
On ne peut définitivement pas nier le fait que Kung-Fu Zohra est pavé de bonnes intentions. Loin d’être la honte attendue, le film n’arrive cependant pas à trouver son équilibre entre drame et comédie (si tant est que cet équilibre existe). Reste la preuve que Sabrina Ouazani et Ramzy Bedia ont largement les épaules pour tenir d’autres drames.
Kung-Fu Zohra de et par Mabrouk ek Mechri. Avec Sabrina Ouazani, Ramzy Bedia, Eye Haïdara… 1h40
Sortie le 9 mars 2022