Qui sommes-nous ? Que voulons-nous ? Ces questions semblent former un certain fil conducteur qui trouve des réponses avec Yamabuki, où Juichiro Yamasaki dépeint un Japon rural en quête de repères à la croisée de plusieurs destins.
Direction Maniwa, une petite ville dans les montagnes située à l’ouest du Japon. Là-bas, Chang-Su essaie de joindre les deux bouts alors qu’il est criblé de dettes en travaillant dans la carrière de la ville. Sa vie familiale est tout aussi chaotique puisqu’il vit avec Minami et sa fille – qui a fui son mari et sa famille il y a de cela sept ans -. À quelques pas de là, au carrefour de la ville, des manifestations silencieuses ont lieu. Une jeune adolescente, Yamabuki, décide de se joindre à ce mouvement, ce qui provoque la colère de son père policier. Sur ce carrefour, point névralgique de la ville et du film, les destins de chacun·e s’entrecroisent pour être bouleversés à jamais.
Juichiro Yamasaki est ce qu’on peut appeler un réalisateur hors circuit. En effet, son activité principale n’est pas le cinéma… mais l’agriculture ! En 2007 il commence une activité en tant que cultivateur de tomates et en parallèle fonde un groupe de production et de projection, Cinemaniwa. Yamabuki est son quatrième film, toujours tourné dans sa ville de Maniwa.

On comprend rapidement que le réalisateur aime faire du cinéma très personnel. Les travaux concernant l’arrivée des Jeux Olympiques de Tokyo l’ont profondément marqué de par un déplacement important de la population vers les villes promettant des boulots, transformant ainsi sa ville en un endroit parfois désertique. À cela s’ajoute son témoignage de la destruction de la montagne de son canton pour amener de la pierre afin de construire les infrastructures. Yamabuki s’inscrit comme un testament, une trace de ce qu’il reste dans cette ville. Il y a quelque chose de fataliste qui se dessine à travers le personnage de Chang-Su. Ancien cavalier de niveau olympique, il travaille désormais comme ouvrier dans la carrière avant de devoir y mettre un terme également après un malheureux accident de travail. Une condition loin d’être anodine car l’équitation au Japon est un sport réservé aux classes aisées. Sans y assister, on comprend rapidement que cette chute sur l’échelle sociale a laissé des conséquences. Une série d’évènements heureux tente de le remettre sur le droit chemin avant que l’inexorable se produise, un cercle vicieux où l’homme ne sait pas se défaire de sa condition.
Parallèlement, on suit le parcours de Yamabuki, comme un contre poids par rapport à l’histoire de Chang-Su. Tandis qu’il se laisse abattre par le sort et se contente presque de subir, la jeune fille choisit elle de prendre son destin en main malgré son jeune âge. Avec un père policier ultra protecteur, Yamabuki souhaite rapidement s’extraire du schéma familial pour voler de ses propres ailes. On comprend ce qui peut la pousser à s’investir autant puisque sa mère, journaliste de guerre, est décédée sur le terrain. Au-delà de l’envie de se battre pour une cause, c’est un besoin vital qui se traduit par une émancipation inévitable.
Plus globalement, Yamasaki dépeint la famille à travers plusieurs prismes : Yamabuki qui veut partir, Minami et sa fille qui veulent échapper à un homme qu’elles n’aiment pas mais aussi Chang-Su, sans repères, à la recherche perpétuelle d’un cocon familial. Il y a quelque chose de presque onirique qui se détache du long-métrage et le choix du 16mm n’y est pas pour rien. Avec ce grain, Yamabuki se dessine comme un conte, une histoire de gens qui se cherchent perpétuellement, tout comme la musique enfantine qui vient accentuer ce côté poétique emballant.
Jolie douceur, Yamabuki tisse des liens entre les humain·es avec beaucoup de délicatesse et d’éclectisme parce qu’après tout, ce sont les pluralités qui font le monde.
Yamabuki de et par Juichiro Yamasaki. Avec Kang Yoon-Soo, Inori Kilala, Kawase Yohta… 1h37