En 2015, Xavier Giannoli nous prenait de court avec Marguerite qui avait remporté trois César dont celui de la meilleure actrice pour son héroïne Catherine Frot. Six ans plus tard, le réalisateur co-écrit avec le scénariste Jacques Fieschi (Police, Un cœur en hiver, L’Adversaire…) une adaptation magistrale et effrayamment moderne du roman de Balzac.
On arrive dans le film comme happé par la lumière d’un tableau de maître, saisi par l’instant immédiatement suspendu. Opposée aux couleurs illusoires de la ville, il y a la nature, compagne inspirante et reconnaissante, abandonnée par son héros aveugle et avide de reconnaissance, justement. Lucien de Rubempré (Benjamin Voisin) – né Chardon – rêve. Amoureux d’une certaine Madame de Bargeton (Cécile de France), une noble de province qui croit bon gré mal gré au talent de son jeune protégé, Lucien s’en va conquérir Paris avec pour seul bagage son petit recueil de poésie qui n’a su saisir que la sensibilité exacerbée de sa protectrice.
Si la fidélité narrative n’est pas à débattre, c’est précisément parce que la narration se fait elle-même servante d’une époque qui n’est déjà plus la sienne. Monté à Paris, Lucien entre dans l’arène et fait la connaissance pleine de promesse du fantasque Etienne Lousteau (Vincent Lacoste), journaleux sans scrupules qui fera et défera ce que nous appellerons plus tard ses illusions.
Critique d’un monde décadent où les actionnaires dirigent les pensées, Balzac était peut-être devin. Ainsi, l’appât du gain fait et défait réputations et talents dans une mise en scène marionnettique proche du grandiose. Art ou politique, tout est consommé, avalé, digéré et jeté jusqu’au prochain torchon brûlant.
Immergé dans cette Divine Comédie, on imagine facilement celui qui a pris la place aujourd’hui du gros éditeur illettré (Gérard Depardieu), du chauffeur de salle corrompu (interprété par le regretté Jean-François Stévenin) ou bien encore de l’infâme marquise d’Espard (Jeanne Balibar). Ainsi, les acteurs brillent chacun à leur place, saisissant avec talent la lumière évanescente de leur personnage. Si les têtes d’affiche s’imposent naturellement, nous prendrons soin de souligner le jeu des jeunes acteur·ices – avec une mention particulière pour Salomé Dewaels qui interprète la fragile Coralie – vivant avec passion l’un de leur premier grand rôle.
Décors, cris, colère, passion : on pourrait tout raconter, mais ce serait révéler brièvement la fresque magistrale qui s’établit plus de deux heures devant nous.
Saisir la comédie dans la comédie : c’est ça, le Cinéma.
Illusions perdues de Xavier Giannoli. Avec Benjamin Voisin, Cécile de France, Xavier Dolan, Vincent Lacoste, Salomé Dewaels, Jeanne Balibar, Gérard Depardieu, Jean-François Stévenin… 2h29.
Sortie le 20 octobre 2021.
Film exceptionnel un brio de mise en scène, une richesse de chaque instant, et jeu d acteurs formidable
Bien à Vous