Notre découverte du documentaire Scala!!! racontant l’histoire de la célèbre salle londonienne dédiée à la contre-culture, coup de cœur de cette édition du festival du film britannique de Dinard, nous a donné l’opportunité de nous entretenir avec ses deux réalisateur·ices, Ali Catterall et Jane Giles.
Ça a du être quelque chose de montrer un tel film ici. On a pris la température les premiers jours, en se demandant si le public allait être adapté pour Scala!!!. Pour exemple, des gens sont partis pendant la projection de How to have sex, et pas pendant les séquences les plus dérangeantes !
Jane : Ça ne m’étonne absolument pas et ouais, lors de nos séances en simples spectateur·ices, on s’est fait la réflexion de savoir comment le film allait être perçu. Pour l’anecdote, quand on est entré hier dans l’auditorium pour la présentation, on a vu cette dame très âgée, avec une canne, et Ali a dit “Cette dame s’apprête à regarder du sexe anal” ! (rires). Mais on s’est senti bien quand les gens se sont mis à rire, surtout les plus vieux qui s’éclataient, personne n’était choqué. Hier soir, t’as une autre vieille dame qui nous a abordé dans la rue parce qu’elle a adoré le film. Après, dans le film, nous interrogeons une très vieille dame, Mrs Reeve, grande habituée du Scala.
J’y pensais justement ! Cette femme ne ressemble en rien aux personnes que nous croisons dans le documentaire, ou aux gens qui sont décrits comme le public du Scala. Son témoignage, comme quoi elle allait là pour voir ce qu’elle ne verrait pas ailleurs, et qu’il n’y a absolument aucun problème à ça, est édifiant. Je me demandais d’ailleurs comment était perçu le Scala par ceux qui, justement, ne le fréquentaient pas ?
Jane : Un de nos intervenant·es, Douglas Hart, parle d’autres cinémas en vogue à l’époque. Les gens ne voulaient pas venir au Scala parce que ça avait la réputation de faire peur, d’être sale, bruyant, avec un public trop particulier. Ils préféraient aller au Every Man, à Hampstead, plus mignon, ou le National Film Theater, bien plus intellectuel.
Ali : Je ne peux pas ajouter grand chose à ça. J’ai des ami·es qui étaient terrifié·es à l’idée d’aller au Scala, pour les raisons que Jane évoquent. C’est dommage car ils auraient adoré et ont finalement adoré ce qui s’y passait. Mais c’était à King’s Cross, ça avait une réputation. Je me suis rendu compte l’autre jour, après quarante ans à squatter la salle, que ce n’est pas si facile de s’y rendre. Quand tu sors de la gare, il faut traverser quelques rues, King’s Cross à l’époque n’était pas le lieu le plus tendance de Londres. À 16 ans, j’avais peur d’y aller, donc ça repoussait les gens.
C’est marrant parce que ce qui est décrit dans le film ressemble à la description que vous en faites. Les gens ont peur que ce soit un lieu sale et effrayant, sauf que c’est un lieu sale et effrayant ! Et il n’y a vraiment de problème avec ça, non ?
Jane : C’est fun ! C’est le train fantôme de la foire.
Ali : Je n’ai jamais trouvé ça sale parce que je viens de quartiers assez pauvres. Le Scala ressemblait à ma baraque, c’était normal pour moi (rires).
Je pense surtout au moment où l’un·e des intervenant·es dit que l’on peut ignorer le film, se retourner et regarder un tout autre spectacle. Ou le moment où un homme trouve les toilettes très propres par rapport à son souvenir. Ce qu’on ressent surtout, c’est que le Scala dépasse ce cadre parce que c’est un lieu de sûreté, où les gens marginalisés peuvent venir s’exprimer, et où quiconque voulant juste voir le film n’est jamais forcé à prendre part à quoi que ce soit, les gens se respectent.
Ali : Mais c’est exactement ça ! C’est là le paradoxe, parce que ce lieu était ultra inclusif.
Ça a dû être compliqué de choisir toutes ces images qui entrecoupent les interventions ?
Jane : On savait ce qu’on voulait au niveau de la structure du film, les interviews, les images d’archives et les extraits de films. On a regardé un mix de quatre heures de bande-annonces de films diffusés au Scala que quelqu’un avait compilé pour nous. On y trouve déjà plein d’images et on a choisi les passages qui nous ont fait marrer. On les a fait coïncider avec les passages où Douglas Hart et Bobby Gillespie décrivent des moments, et quand les autres parlent des films qu’ils ont vu.
Vous avez beaucoup d’intervenant·es. Je pense notamment à John Waters qui raconte que la salle le choque plus que ses propres films, ça donne beaucoup de moments spontanés comme celui-là. Vous parlez des premiers concerts, Iggy Pop par exemple. C’est quelqu’un que vous avez approché ?
Jane : On s’est fait une longue listes de personnes associées. Dans le cas d’Iggy Pop, tu ne passes même pas son manager, ça te bloque direct. Pour John Waters, on a un ami qui le connaît et nous a expliqué comment formuler la demande de façon personnelle. Ce qu’il faut mettre en objet, la précision sur le projet, les moyens que l’on met à disposition. Les gens lui demandent beaucoup de choses et des fois s’imaginent que c’est à lui de trouver l’équipe caméra, tu imagines ? De manière générale, on avait des réponses immédiates très enthousiastes, ou aucune réponse. Pas vraiment d’entre-deux.
Ali : On a fait le film pendant le confinement, ce n’était pas simple de discuter, convaincre. Mais ceux qu’on a eu se sont déplacés, se sont montrés généreux.
Jane : T’as certains agents qui ne voyaient pas l’intérêt de contacter notre potentiel·le intervenant·e parce que le documentaire n’était pas à propos d’elleux. Notre critère n’était pas de savoir si tu es venu·e une fois ou toute ta vie au Scala. Chaque expérience était bonne à prendre et on avait des gens qui ne se rappelaient plus de ce qu’iels avaient vu.
Ali : Iels se rappelaient surtout de l’ambiance, des odeurs, des gens qu’iels ont vu, des chats ! (rires) Il y avait des communautés entières : punks, goths, fans d’horreur, gays. Pour nous c’était justement plus important qu’iels se souviennent de ce genre de choses. On avait déjà les extraits, donc il nous fallait le reste, les souvenirs, l’expérience.
Jane : L’atmosphère du lieu était très forte. Elle l’est toujours. C’est presque magique.
Ali : Les fantômes sont toujours là, on peut les sentir (rires).
Le Scala existe encore, mais ce n’est pas la même chose.
Jane : Plus de films, juste des concerts. Mais les nouveaux·velles propriétaires aiment le lieu et le préservent. Iels ont été adorables avec nous, de nous laisser venir filmer tout ça.
Ali : Tu as dans les choix de décoration ces rouges très kubrickiens, très lynchiens, surtout très en rapport avec les films qu’on programmait. Iels ont totalement conscience de l’héritage du Scala, et le maintiennent.
C’est toujours un lieu de pélerinage pour tout·e amoureux·se de cette culture.
Jane : La vieille dame qu’on a vu hier nous a dit qu’elle allait à Londres en novembre et nous a demandé si elle pouvait aller au Scala. Bien sûr qu’on peut ! C’est un très beau bâtiment.
En France, nous avons des festivals dédiés à ces films, mais qui sont ponctuels, pas comme le Scala qui était un rendez-vous quotidien. Pour ces gens qui venaient souvent, quelles sont les alternatives ?
Jane : Comme tu le dis, les festivals à des horaires improbables. (rires) Je suis sûre que tu penses à l’Étrange, on adore y aller. Mais le Forum des Images, c’est un environnement différent. Neuf, propre, confortable, bonne bouffe… On ne retrouvera jamais cette ambiance, mais on peut voir les films.
Ali : Pas forcément, en plus. Aujourd’hui, tu peux trouver à peu près tout en cliquant sur internet, mais les films passés au Scala sont pour la plupart toujours très difficile à trouver. C’est très obscur. Et c’est aussi antinomique avec un monde où tant de choses sont à notre portée. On peut passer une heure et demie sur le catalogue de Netflix, de Mubi, avant de trouver ce qu’on veut voir, mais on ne trouvera jamais les films passés au Scala.
Jane : C’est parce qu’il y avait un·e programmatteur·ice pour choisir les films, les négocier. Je l’ai été ! Il y aura toujours une différence entre se laisser porter par le choix d’une personne qui souhaite nous étonner et un algorithme qui est plus là pour nous conforter.