Comédien, assistant, photographe… Constantin Pappas est un homme dont la curiosité n’est jamais rassasiée. Pendant une heure, nous avons pu échanger avec lui sur son métier de comédien dans le doublage, les spécificités de cette pratique et ses regrets sur un secteur industrialisé qui a vu la technique devenir supérieure aux enjeux artistiques.
Votre activité (comédien, assistant réalisateur, comédien dans le doublage, photographe…) montre une envie certaine d’être un acteur culturel touche-à-tout, quand cette vocation vous est venue ?
Quand j’avais une dizaine d’année, on avait une pièce de fin d’année à jouer, notre professeure était passionnée de théâtre et elle voulait nous faire jouer des extraits de Knock ou le triomphe de la médecine (1923) de Jules Romains. Nous étions deux à apprendre les textes mais c’est mon camarade qui a été choisi pour jouer Knock car « plus proche physiquement d’un médecin » et je me suis retrouvé à animer les interludes et à présenter les extraits seul devant 800 personnes à ce spectacle ! C’était une super expérience, qui m’a marquée pour poursuivre dans la comédie. Pour le reste, une fois qu’on est dans ce milieu et qu’on est un peu curieux·se, on peut toucher à pas mal de corps de métier et rencontrer les bonnes personnes qui pourront transmettre leurs savoirs et leurs expériences.
Vous exercez notamment dans le doublage en prêtant votre voix en version française de manière régulière à Steve Carell, Aaron Eckhart, Jon Hamm ou encore Peter Dinklage. Comment se retrouve-t-on à doubler ce dernier comédien ?
Je ne sais pas vraiment… Il faudrait que je pose la question à Georges Caudron, le directeur artistique sur le doublage de la série Threshold : Premier Contact (2005). Il m’a fait passer des essais sur ce comédien, j’ai été pris mais je n’ai pas cherché plus loin sur l’instant et je ne suis jamais revenu sur ce choix avec lui. J’ai continué à le suivre ensuite sur Nip/Tuck (2006) puis sur Panique aux funérailles (2010) avant d’arriver sur le phénomène Game Of Thrones (2011).
À la différence de votre première expérience où vous n’aviez pas le physique du médecin, le doublage semble offrir plus de possibilités.
Absolument ! C’est d’ailleurs tout ce que j’aime dans cette activité, on peut se retrouver à faire des personnages à l’opposé physiquement de ce que nous sommes, comme sur Peter Dinklage, et cette différence physique s’oublie très rapidement à la barre de doublage. Sur une session, j’étais avec Claudie Chantal, une comédienne très fine et petite, face à mes 1m85, mais à l’écran elle doublait un personnage très corpulent et moi une personne de petite taille… Le doublage nous permet de nous extraire de la juste évaluation physique, ce n’est pas le cas au cinéma ou au théâtre malheureusement, qui ne freine pas les capacités vocales.
Game of Thrones a été un phénomène, touchant un public assez large. Est-ce un regret pour vous, comédien, de ne pas avoir accompagné cette série avec une VF disponible immédiatement comme le fait Netflix aujourd’hui par exemple ?
Pas du tout ! OCS, le diffuseur, a proposé une VF plus rapidement sur une ou deux saisons je crois et, en tant que comédien, c’est à ce moment qu’on a senti une paranoÏa face au piratage, rendant notre travail très difficile. On se retrouvait à la barre d’enregistrement face à une image dégueulasse ou, pire, face à un écran noir avec des bouches qui apparaissaient au moment où les personnages parlent… Le temps entre la diffusion en VOSTF et l’enregistrement de la VF nous permettait d’avoir les images de la série et d’avoir un peu plus de temps pour travailler.
Votre premier doublage sur Steve Carell, c’est sur la série américaine The Office (2005), comment pose-t-on sa voix sur un personnage aussi loufoque que Michael Scott ?
Steve Carell, c’est une rencontre ! Il est aussi speed que moi dans son débit, son énergie. Vocalement, on est très proche, il est juste un peu plus aigu donc tout est simplifié quand on a la chance de lui prêter sa voix. Cela a facilité mon intégration sur Michael Scott dans The Office où je pouvais voir les scènes en VOST une seule fois avant de me lancer. C’est aussi une incroyable expérience de groupe puisque tout le casting vocal enregistrait en même temps à la barre ! Nous étions hilares à chaque visionnage des scènes, nous étions spectateurs avant d’être comédiens. Cela ressemble à des lointains souvenirs puisque depuis la Covid, nous enregistrons seul 99% du temps.
C’est un acteur qui passe du registre comique au dramatique, cela peut-il influer sur le comédien qui le double ?
C’est possible bien sûr ! Pas forcément sur le genre mais peut-être sur l’investissement et la performance de l’acteur. J’ai souvenir d’un casting pour doubler Steve Carell sur Foxcatcher (2015) par exemple où ce n’était pas pour moi. J’ai vite senti le travail physique de Carell et je n’ai pas réussi à passer au-dessus. Il y a aussi un ressenti des directeur·ices artistiques sur le fait de pouvoir assimiler très vite le travail d’un·e acteur·ice.
Sur les acteurs que vous suivez régulièrement, est-ce que vous continuez à être casté ou vous êtes appelé directement lorsqu’il est au casting d’un film ou d’une série ?
Un·e acteur·ice n’est jamais la propriété de celuiel qui lui prête sa voix en version française. Pour tous les acteur·es que nous doublons plus ou moins régulièrement, cela dépend des majors de distribution (Warner Bros, Universal, Disney…) mais également de la volonté du/de la directeur·ice artistique. C’est iel qui va nous diriger durant les sessions d’enregistrement et qui nous choisit au préalable à travers des essais ou non.
Sur Steve Carell par exemple, c’est d’avantage une question de major car nous sommes deux à le suivre régulièrement (avec Maurice Decoster). Si le film est distribué par Universal, ce sera Maurice. Il l’avait commencé sur 40 ans, toujours puceau (2005) et ils sont très fidèles à sa voix sur Steve Carell depuis, ce que je comprends tout à fait. Si c’est 20th Century Fox (Disney dorénavant) ou Warner Bros, il y a plus de chances pour que ce soit moi.

Sur un plateau, comment s’organise le travail du comédien par rapport aux images et à la bande rythmo ?
Tout d’abord, il faut se concentrer sur la performance de l’acteur, écouter sa scène en version originale, le regarder bouger et faire attention à sa respiration. On a très peu de temps pour tout ça mais le mot d’ordre est de respecter la mise en scène et le propos du ou de la cinéaste. C’est vraiment un exercice d’humilité et de concentration pour essayer de retenir le plus de choses dans un court laps de temps. Cela ne veut pas dire qu’il faut copier l’original, Patrick Poivey en faisait beaucoup plus que Bruce Willis en VF par exemple. Il faut aussi pouvoir apporter un peu de soi dans la performance.
Vous êtes également formateur dans des écoles sur la pratique et l’expérience du doublage…
(Il coupe) À des comédien·nes. On voit des influenceur·ses, des animateur·ices de télévision venir sur des productions, de plus en plus… Le critère principal, c’est d’être comédien·ne. Ce n’est pas possible sans l’être pour moi. Après, l’arrivée de certaines personnes sur les plateaux de doublage répond à des enjeux marketings aujourd’hui. Disney, pour des films d’animation, peut prendre quelqu’un dans l’actualité même s’iel n’est pas comédien·ne (un·e chanteur·se, un·e Youtubeur·se…) juste pour la communication et le marketing, ce n’est pas absolument pas une volonté artistique.
Vous évoquez la rapidité des sessions de doublage, on a l’impression que c’est aussi un secteur où la technique a pris le pas sur l’artistique…
Absolument oui, on demande aux comédien·nes d’en faire toujours plus dans un temps moindre mais on est capable d’accorder un temps beaucoup plus conséquent à des personnes qui ne sont pas comédien·nes au nom de leurs notoriétés !
Aujourd’hui, il y a de plus en plus de contenus et également des plateformes comme Netflix qui proposent tous les épisodes à la même date mondiale avec la VOSTF et la VF sans prendre en compte le travail au préalable de la détection, de l’écriture, de l’adaptation… Les rythmes de travail sur certaines séries sont hallucinants. Après, il ne faut pas exempter la technique avec le numérique qui était censée nous faire gagner du temps. J’ai cru que le temps gagné allait nous permettre de travailler plus confortablement sur certaines séquences mais ce n’est pas ce qui se passe, on gagne du temps pour faire de plus en plus de contenus, d’épisodes. Il faut aussi rajouter que depuis deux ans, on enregistre seul ce qui fatigue beaucoup plus vite car il faut faire en sorte que notre enregistrement colle avec celui d’un.e autre qui ne l’a pas encore fait… Ce sont des nouvelles problématiques qu’il faut assimiler avant, je l’espère, un retour aux enregistrement groupés !
Vous évoquez la multiplications de supports et des contenus mais elle n’empêche pas la concentration sur quelques titres alors que beaucoup d’autres restent invisibles ou confidentiels…
C’est une bonne remarque. On fait toujours plus de choses donc il y en a forcément qui restent et d’autres qui s’oublient malheureusement (ou pas d’ailleurs). J’ai la chance d’avoir doublé un comédien dans Squid Game (2021) par exemple, j’étais loin de m’imaginer le succès que ce serait et je n’y penserai pas au moment de l’enregistrement de la saison 2. On ne se pose pas la question de la popularité du contenu quand on est en studio, notre travail ne change pas en fonction de ça. Par contre, comme dit tout à l’heure, il y a de plus en plus de contenus et, au-delà de la popularité, il y a surtout la question de la qualité. Une série comme Succession (2018) sur HBO (et OCS en France) n’est pas très populaire par exemple mais quel plaisir à faire tellement c’est bien écrit et les acteur·ices sont formidables. Ça fait partie des séries où, en tant que comédien·ne, on espère qu’elle gagnera en popularité !
Dernière question, la culture est oubliée des débats publics. Quelle est sa place, selon vous, aujourd’hui ?
La culture et ses acteur·ices sont totalement oubliées, on a pu s’en apercevoir de nouveau lors des confinements, réouvertures et restrictions sanitaires. Toutes les décisions étaient prises par des politiques sans consultation avec les instances culturelles, comme si on pouvait rouvrir un cinéma en quelques jours par exemple ! On oublie aussi que pendant un an, culturellement, tout le monde a été autonome chez soi avec les plateformes etc. Or, le rôle de la culture est aussi l’élévation sociale, de ne pas toujours proposer des choses simples mais de travailler pour y faire adhérer le public. Si vous retirez les acteur·ices culturels, la concentration de la culture vers le divertissement va continuer à s’amplifier.
Les gens ont besoin de culture mais, les salles de cinémas peinent à retrouver une fréquentation d’avant Covid par exemple.
C’était ma grande crainte au moment des réouvertures… C’est vrai qu’il est encore un peu tôt pour faire un retour sur la fréquentation car il y avait encore des contraintes il y a peu (le manque de films américains, le pass sanitaire, les couvre-feux…). Selon moi, il faut aussi que les cinémas remettent en question leurs modes de fonctionnements pour refaire de la salle un lieu convivial et qu’ils réfléchissent à leur écosystème. Les producteur·ices et distributeur·ices doivent se renouveler également, le dernier Spider-Man (2021) a concentré une grosse partie des écrans pendant 1 à 2 mois au détriment d’autres films qui quittent l’affiche au bout d’une semaine… Il faut une réflexion collective pour que tous les publics retrouvent le chemin des salles.
Merci à Constantin Pappas pour ses réponses et sa bonne humeur. Interview réalisée le 6 avril 2022.