À l’occasion de la présentation, en compétition à la 41e édition du FIFAM, du film Vous ne désirez que moi réalisé par Claire Simon, nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec l’acteur français Swann Arlaud. Cet entretien fut également l’occasion d’évoquer la carte blanche que lui avait laissée la programmation du festival ainsi que la notion de désir, centrale à sa venue sur cette édition.
Vous présentez au 41e Festival International du Film d’Amiens (FIFAM) une carte blanche autour du thème du désir. Comment s’est-elle construite et quels choix avez-vous eu à faire ?
C’était très difficile. C’est Annouchka De Andrade (la directrice artistique du festival NDRL) qui m’a demandé de faire cette carte blanche, et vraiment, je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire. J’ai donc essayé de me creuser un peu la tête pour retrouver des films qui m’avaient laissé des émotions de cet ordre, notamment durant mon adolescence. J’ai donc fait cette liste à partir de mes premiers émois de cinéma. Il y a notamment un film de Duras, India Song, qui fait écho au film de Claire Simon que je suis venu présenter. Je me suis dit que ça avait du sens, car le cinéma de Duras est vraiment traversé par une grande sensualité. Il y a également Perdrix, un film dans lequel je joue. Je me suis dit que ce film avait vraiment sa place dans une sélection sur le désir. C’est d’ailleurs un film que j’aime beaucoup. Puis il y a les autres, par exemple, Eyes Wide shut, je ne suis pas certain d’aimer particulièrement ce film aujourd’hui. Enfin ça reste quand même un Kubrick, c’est un grand film, mais je trouve ça assez étonnant qu’il nous ait laissé avec ce film.
En les présentant durant le festival, y a-t-il un film qui vous soit venu en tête, que vous regrettez de ne pas avoir mis dans cette carte blanche ?
Oui, bien sûr ! Je dirais Mulholland Drive parce que je crois qu’il y a vraiment quelque chose de l’ordre du désir qui traverse le film. Ça fait longtemps que je ne l’ai pas vu et c’est vraiment un film que j’adore. Il y a aussi In the Mood for Love, mais pour le coup je trouvais ça presque trop évident. Mais c’est aussi un film qui m’a énormément marqué, et je pense que ça vaut vraiment le coup de le voir au cinéma.
Votre carte blanche sur le désir rejoint le film que vous présentez en compétition : Vous ne désirez que moi de Claire Simon. C’est un film qui repose énormément sur vous et votre voix. Comment interprète-t-on un rôle qui est physiquement, mais surtout oralement, le centre du film ?
En fait, c’est surtout le texte le centre du film. Comme le texte est très fort, il faut se reposer dessus. Enfin, pas vraiment se reposer, mais la seule chose à faire, c’est d’essayer d’être le plus sincère possible, de dire les choses naturellement, puisque le texte comprend toute la charge érotique et passionnelle. Il n’y a donc rien d’autre à faire que de le dire. À partir du moment où l’on essaie de jouer avec son corps ou sa voix, on est dans une posture, et ça ne fonctionne pas. Il faut donc dire le texte le plus sincèrement possible, tout en étant dans une forme de danger. C’est ce danger qui fait que tu te poses une question, que tu essaies vraiment d’être honnête, et c’est ça qui est fort. On a peu l’occasion de voir des hommes parler à ce point, de manière si approfondie, de leur fragilité. Qui plus est, face à une femme.

Justement, cette femme, jouée par Emmanuelle Devos, est un réel support pour votre jeu, il y a une forme de répondant entre vous. Comment ça se met en place sur un plateau de tournage ?
Ça s’est mis en place tout de suite, dès le début, quand on a commencé à faire des lectures. On s’est rendu compte que ça fonctionnait naturellement. D’abord moi j’admire beaucoup Emmanuelle. Je la trouve incroyable, je la trouve belle, j’avais envie de lui parler. Elle, elle était là, elle m’écoutait. Donc tout de suite, on a vu que ça se passait. Ensuite, c’est de la mise en scène. À ce moment, on n’est pas responsable de ce qu’il se passe. C’est Claire (Simon) qui a réussi à faire en sorte qu’il y ait vraiment deux personnages, qu’il y ait une sorte de dialogue, alors que finalement ce n’est que moi qui ne fais que jacter. Elle a cependant réussi à faire complètement exister Emmanuelle comme un personnage à part entière. C’est-à-dire qu’on ne sort pas du film en se disant que l’on a vu plus l’un que l’autre. On sait pertinemment que l’on m’a plus entendu qu’elle. Mais dans son personnage, il y a toute cette écoute, et c’est sûrement l’une des choses les plus difficiles à jouer l’écoute, parce qu’il faut être véritablement présent, pour de vrai.
Vous avez connu Marguerite Duras plus jeune, et vous interprétez, dans ce film, son amant. À quel point avez-vous dû prendre de la distance, à la fois par rapport au personnage que vous interprétez, mais également avec vous-même ?
J’étais un enfant quand j’allais chez cette femme, c’était une vieille dame. Mon beau-père était assez proche de Marguerite Duras, il a beaucoup travaillé avec elle. Le film parle beaucoup de sexualité, mais à aucun moment je ne peux m’imaginer moi, en train de coucher avec cette femme. Donc je ne pensais pas à elle, je ne me mettais pas dans la peau d’un homme qui couche avec Duras. Je me mettais dans ma peau, et je parlais d’amour, de passion, de désir, de sexualité… Mais de la manière dont moi je pourrais le vivre.
Claire Simon a beaucoup fait de cinéma direct et de documentaires, ça se ressent un peu dans la manière dont elle filme ici. Il y a de très longs plans qui donnent un aspect réaliste, comme si votre conversation était un instant capté pour la première fois.
Oui, ce que Claire m’a immédiatement dit, c’était qu’il fallait être sincère. Il n’y avait vraiment que ça à faire, dire ce texte de la manière la plus vraie possible. Son travail a donc été de filmer cette conversation, et en effet, on est dans une sorte de documentaire- fiction. D’autant plus que cet entretien a réellement existé.
Vous en récitiez d’ailleurs du mot pour mot ?
C’est du mot pour mot de l’entretien original. La seule chose qui a été rajoutée, dans la seconde partie du film, avant que Michèle Manceaux, le personnage d’Emmanuelle, vienne pour faire le second entretien, c’est un petit dialogue dans lequel je me fais plus pressant et où j’évoque la nuit passée. Et clac ! À partir du moment où elle se remet à enregistrer, il n’y a plus que le texte. Donc cette phrase que j’ai dite ne peut pas apparaitre dans la version publiée de ce qui avait été enregistré, car l’enregistreur n’était pas encore allumé. Claire a aussi enlevé des choses. Il y avait des parties beaucoup plus longues, mais il fallait faire un film. Déjà que celui-ci est assez long, il fallait faire des coupes à l’intérieur du texte. Par contre, on n’a rien rajouté, c’est exactement ce qui a été dit entre Yann Andréa et Michèle Manceaux.

Est-ce que pour vous, désirer est quelque chose de dangereux ?
Tout est dangereux, non ? Vivre c’est dangereux, aimer c’est dangereux, baiser ça peut être dangereux… tout est dangereux. À la fois c’est très vaste le désir parce que si l’on parle uniquement du désir sexuel, c’est quelque chose de l’ordre de la pulsion, d’instinctif, presque animal. Après tu peux désirer quelque chose de plus vaste, une envie, un regard sur le monde… donc là peut-être que c’est moins dangereux, c’est peut-être même bienveillant. Après tu peux avoir du désir pour ce que tu n’as pas, vouloir ce que possède l’autre. À ce moment, tu es très proche de la jalousie donc tu peux rapidement aller vers l’aigreur. Mais après il y a peut-être quelque chose d’essentiel à l’intérieur de ça, qui est simplement le souffle de vie. Un truc qui te porte, qui te fait aller vers quelqu’un, vers quelque chose, qui te met un coup de pied au cul, donc ça, c’est aussi une forme de désir. À partir du moment où ça peut avoir cette puissance-là, c’est que c’est l’essence même de la vie. Par exemple, une rupture amoureuse ça rend extrêmement malheureux, c’est physique, ça fait très très mal, mais en même temps c’est une preuve que tu es vivant. Donc peut-être que désirer c’est dangereux, parce que c’est dangereux de se sentir vivant. Mais il vaut mieux être vivant.
Vous avez joué dans énormément de films, gagné deux Césars… Qu’est-ce que vous désirez désormais pour votre carrière ?
Je ne sais pas… En fait, c’est un peu bizarre parce que je crois que je n’ai toujours pas compris à quelle place je me situe aujourd’hui. Ce n’est toujours pas clair pour moi. Donc je n’en suis pas là, à me dire je veux ci ou je veux ça. Mon plus grand plaisir, ça reste encore de recevoir un scénario et d’être surpris, de me dire que je n’aurais jamais pensé à ça. C’est génial, c’est très excitant de se jeter là-dedans !
C’est vrai que plus jeune vous ne vouliez pas être acteur, que c’était quelque chose que vous refusiez ?
Oui. Enfin ce n’est pas que je refusais, mais c’est que je ne prenais pas ça très au sérieux…
Aujourd’hui vous ne regrettez pas ?
Non je ne regrette pas. Je ne regrette pas, mais je ne sais pas si à un moment, pour me sentir accompli, je n’aurais pas besoin de faire autre chose. Mais oui, je me suis un peu refusé à ça, parce qu’en même temps ma famille travaille dans le cinéma, c’est beaucoup des techniciens, donc ce n’était pas une évidence pour moi de rentrer dans ce monde. Ça s’est fait un petit peu comme ça, mais oui je ne prenais pas ça très au sérieux. C’est surtout que, du fait de ma famille, je savais que c’était un métier où les places étaient rares. Je savais qu’il y avait des gens qui étaient extrêmement talentueux, qui étaient des travailleurs, mais qui ne réussissaient pas. Et je savais aussi qu’il y avait des gens qui avaient moins de talent, qui travaillaient moins, et qui réussissaient. À un moment tu fais le constat que, de toute façon, c’est injuste. Ma mère m’a toujours dit de ne pas choisir ce métier. Elle me disait que si un jour le métier me choisissait c’était très bien, mais que de moi-même je ne devais pas le choisir. Donc je pense que je suis parti avec ça et que j’ai vraiment eu de la chance.