Lady Oscar (1979)
Le tournage est à peine conclu que le prochain projet de Demy, Une chambre en ville, est prêt à passer au pôle production. Pourtant, ce sont neuf années qui séparent la naissance de l’idée de son aboutissement. Contraintes d’acteur·ices, de producteur·ice, le réalisateur peine à trouver du financement, et se lance dans diverses entreprises avant de pouvoir le lancer. En 1978, il est contacté par une production japonaise qui souhaite adapter le manga à succès La rose de Versailles. Pour le réalisateur, c’est l’occasion de renouer avec les volontés châtelaines, d’offrir une embardée dans l’histoire et de jouer avec les mœurs. Pour la production, l’aura de Demy permet de favoriser un tournage en France et d’obtenir les autorisations nécessaires. Une fois l’aventure terminée, le film disparaît des horizons français, la production japonaise proposant un accès à la distribution trop onéreux, et Demy faisant tout pour enterrer le projet, ne souhaitant pas qu’il sorte dans l’hexagone de son vivant tellement il en est insatisfait.

Pour correspondre au fantasme paternel qui souhaitait avoir un garçon, Oscar est élevée comme telle. Dans la France de Marie-Antoinette, elle évolue à la cour comme garde, confondue pour son faux masculinisme et formée aux armes. C’est à mesure qu’elle souhaite s’affirmer en tant que femme qu’elle découvre les affres de la bourgeoisie, qui la dégoûtent. Elle prend part à la Révolution française, aux côtés de son ami-amant André, qui connaît son secret depuis toujours et lui voue une passion sans failles. Avec ce postulat, Demy renoue avec nombre de choses qu’il a déjà mises en scène. Le joueur de flûte et Peau d’âne jouant également sur des tableaux d’époque, l’aise avec les décors ou les costumes est totale, et laisse entrevoir un métrage qui va toucher au grandiose. Mais par la multitude d’arcs à mettre en place, et les différents tons, entre axe féministe et déclin d’une ère, qu’il souhaite mettre en place, Demy ne sait que raconter, et finit par se perdre dans ses élucubrations.
Le budget confortable permettant à l’époque d’être aisément retranscrite à l’écran ne suffit pas à narrer une belle histoire, surtout quand Demy peine à s’approprier l’identité du récit en question, et multiplie des références peu habiles. En témoigne une scène de père à enfant, ce dernier se rendant au lit, qui singe jusque dans les dialogues le Barry Lyndon de Stanley Kubrick. Des bouts de métrages trouvés, disséminés ci et là, forment ce Lady Oscar, sans que ce dernier n’existe jamais. On aurait pourtant adoré découvrir ces histoires de cour sous le prisme de celle se faisant passer pour homme, jouer sur la dualité, les interdits, et offrir un regard moderne sur une relecture historique. On se contentera de quelques événements relatés, et d’une prise de la Bastille à peine montrée.

Embarrassé d’un métrage qu’il refuse de distribuer sur les terres françaises, Demy repart appauvri de la co-production japonaise, et peine à se relancer. Avant de pouvoir enfin développer Une chambre en ville, qui n’en finit pas d’être reporté, il se lance dans un téléfilm, La naissance du jour, adapté du roman de Colette.
La naissance du jour (1980)
Pour prêter ses traits à l’écrivaine, dans l’adaptation de son autobiographie, Jacques Demy fait appel à Danièle Delorme. Déambulant dans sa maison de Saint-Tropez – le véritable domicile de l’autrice transformé en décor de tournage, preuve de la volonté et du soin apporté à la réalisation –, Colette se remémore, parcourt son existence en relisant ses notes, en balbutiant des nouvelles, et fait l’état de sa vie. Autour d’elle, Vial (Jean Sorel) apparaît comme un danger, un potentiel nouveau départ vers une passion tumultueuse. Enfermée dans sa narration passéiste et la tentation de remettre un nouveau chapitre qu’elle sait perdu d’avance, Colette s’interroge.

Il y a quelque chose dans la narration qui nous ramènerait presque à un récit rohmerien. Tel un conte de saison, où la voix off fait office de point de repère, narrateur d’événements auxquels nous assistons, permettant d’embrasser un point de vue, et d’apposer notre contrepoids moral. Si dans l’écriture, la narration de Colette s’avère fantastique, touchant par la prose la richesse des événements à raconter, le choix de rester dans cette maison, de n’être face qu’à l’écrivaine, ses rares interactions et quelques apparitions, permet difficilement de s’impliquer dans cette Naissance du jour. L’ennui ne semble pas une volonté, tant le dialogue est installé, ne laisse que peu de moments de silence, mais s’insinue rapidement dans l’esprit du/de la spectateur·ice, sournoisement. L’impression de voir une histoire morne, terriblement monolithique, domine, malgré beaucoup de subtilités de mise en scène, que l’on ne remarque pas forcément lorsque l’attention est perdue.
Dans sa façon de capter le cadre, Demy appose des changements fins, témoins du passage du temps, mais aussi des humeurs de la narratrice. Ainsi, ses refus de s’adonner à une nouvelle aventure passagère, pour schématiser l’enfermement dans lequel elle choisit de rester, sont illustrés par des plans longs, où l’action se dilue dans la réelle inaction. Revenir dans une pièce en change l’angle, la configuration sur de légers détails, et en s’appuyant sur les dires de notre conteuse, nous nous replaçons dans le contexte. Un sens du détail accru, salué en son temps, mais qui n’est pas du goût de tou·tes. Ici, un revisionnage a montré plus de richesses que prétendues, mais l’ennui perdure, comme voulu par le réalisateur, souhaitant nous mettre dans le même état que son héroïne, consciente que plus rien ne lui arrivera. D’une certaine manière, le pari est réussi, mais passer par une expérience pénible n’est pas forcément un prérequis.
Lady Oscar, de Jacques Demy. Écrit par Patricia Louisianna Knop et Jacques Demy. Avec Catriona MacColl, Barry Strokes, Christine Bohm… 2h04
Film de 1979, sorti en France le 19 février 1997
La naissance du jour, écrit et réalisé par Jacques Demy. Avec Danièle Delorme, Dominique Sanda, Jean Sorel… 1h30
Diffusé à la télévision à partir du 1er novembre 1980