Joker : Tu ne riras point

Qui aurait cru que le réalisateur des Very Bad Trip, de War Dogs, Starsky et Hutch aurait réalisé un jour Joker ? Qui aurait cru que celui qui s’était spécialisé dans les comédies potaches et graveleuses se retrouve à la tête d’un projet aussi sombre que celui-là ? Qui aurait cru que ce film deviendrait la source d’une des plus grosses attentes de cette fin d’année ? Qui aurait cru que Joker de Todd Phillips remporterait le Lion d’Or à la dernière Mostra de Venise ? Et surtout, qui aurait cru que ce serait l’une des plus grosses claques cinématographiques de l’année ?

Personnage emblématique de DC déjà incarné par Cesar Romero, Jack Nicholson, Heath Ledger et Jared Leto, le Joker fait partie de la pop culture depuis des générations mais ce n’est qu’aujourd’hui qu’il a le droit à une vraie “origin story“.

Des sourires par devant, et par derrière médisant

Arthur Fleck fait partie de ces habitants oubliés d’un Gotham City envahi par les déchets, en proie à une révolution bouillonnante à qui il ne manque plus qu’une étincelle. Cette étincelle va se nourrir au sein d’Arthur, ce clown à deux visages. Clown qui gagne tant bien que mal sa vie en tant que publicitaire et clown triste persécuté par les autres, moqués par ses collègues. Son seul repère sur qui il peut plus ou moins compter est sa mère, qui le surnomme ironiquement “Happy“. Sauf que Happy est tout sauf heureux. Ce sourire de façade qu’il arbore cache une détresse infinie et une colère qu’il refoule depuis trop longtemps. Quand une bande de jeunes s’attaque à lui dans le métro sans raison, c’en est trop pour Arthur qui réplique et devient petit à petit, emporté dans une spirale infernale, le Joker tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Outre sa place chez DC, le Joker est une figure plus générale : celle de la colère, celle des laissés pour compte qui, tôt ou tard, lèvent leurs voix pour se faire entendre. Le Joker, c’est le résultat d’une société où les disparités entre riches et pauvres sont de plus en plus grandes, où les grandes puissances ne se soucient pas des problèmes du petit peuple. Le Joker, c’est un cri de colère que Todd Phillips fait retentir tout au long de son film, qui démarre crescendo avant d’exploser littéralement, à l’image du handicap d’Arthur : un rire incontrôlé qui devient de plus en plus fort jusqu’à lui faire mal. D’abord maltraité et raillé de toutes parts, Arthur se laisse faire, le physique fébrile caché derrière ses vêtements larges. Lui qui n’a pour naïve ambition que de devenir un comédien de stand up et passer dans l’émission de son idole Murray Franklin (Robert de Niro) réalise vite que la société entière n’est là que pour se moquer de lui. Joker, c’est le destin d’un homme brisé, né pour faire rire le monde, non pas pour le détruire. 

Todd Phillips et son chef décorateur Mark Friedberg (qui a bossé sur Si Beale Street pouvait parler, Le Musée des merveilles ou encore Paterson) mettent un point d’honneur à faire évoluer le Joker dans un Gotham délabré, gangrené par la violence et la pauvreté. Des immeubles insalubres aux rames de métro pleines de graffitis, cette ville au cœur des années 70-80 participe à l’ambiance que réussit à installer Phillips. Quelques scènes remarquables illustrent parfaitement l’état d’esprit d’Arthur, notamment ces scènes dans ces longs escaliers que le personnage peine à monter et descendre quotidiennement, des rues qui se croisent et se décroisent comme un labyrinthe où la seule issue possible est la violence. À cela s’ajoute une bande-son vertigineuse, pleine de violence, et furieuse. Toute l’atmosphère est là pour accompagner Arthur dans sa folle descente aux enfers.

Et pour incarner cette folie, cette violence, qui de mieux que Joaquin Phoenix ? L’acteur qui a déjà démontré plus d’une fois l’étendue de sa palette de jeu nous offre ici encore une autre facette. La folie, la naïveté, la violence, la colère, la fragilité… un cocktail explosif qui ne laisse définitivement pas de marbre. De son physique frêle (quasi inquiétant), à ce sourire démoniaque, Joaquin Phoenix livre là la plus belle performance de l’année

Haïr ou compatir ?

Là où les traditionnels films de super-héros posent la base simple d’un héros et d’un méchant sans distinction, Joker s’inscrit dans une dynamique différente. En effet, le méchant n’est pas vraiment méchant. Le Joker c’est d’abord le gentil qui devient méchant. Son “origin story” remonte tellement loin que le spectateur assiste pour la première fois à la naissance du Joker. Son surnom n’est d’ailleurs prononcé qu’à la fin du film, signe qu’on a un film sur Arthur Fleck avant tout

De vives polémiques sont nées à la suite du film, dénonçant une prise de position empathique vis-à-vis du Joker. Sauf que le film n’est pas sur ce dernier, mais nous met face à un homme désemparé et écrasé par la société qui, à bout, se pousse à commettre l’irréparable. Comprendre cette souffrance ne veut pas dire en accepter ses conséquences, loin de là. Joker dresse avant tout un portrait, et lorsqu’Arthur Fleck devient officiellement le Joker, le film ne compatit en aucun cas avec le personnage et les actes affreux qu’il effectue. C’est même cette complexité qui en fait un personnage fascinant. On suit une progression, destinée à nous aider à comprendre comment un homme lambda peut devenir une véritable incarnation du mal. Cet angle où des hommes tout à fait normaux basculent du mauvais côté suite à des mauvais choix n’est pas nouveau, alors pourquoi blâmer celui-là en particulier ? Parce que le public a trop longtemps été habitué à connaître sur le bout des doigts la vie de Batman ? 

Au-delà d’une “origin story” des plus intéressantes et des mieux racontées, Todd Philipps étonne avec un film à l’esthétique léchée, qui brûle de colère et transpire la violence du début à la fin. Certains plans sont sublimes, certaines musiques sont vertigineuses… décidément ce Joker ne nous laisse pas intact.

Joker de Todd Phillips. Avec Joaquin Phoenix, Robert de Niro, Frances Conroy… 2h02. Sortie le 9 octobre

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