Avec La communion, qui s’est fortement fait remarquer dans nos salles, Jan Komasa se fait conteur de parcours radicaux. Son personnage s’improvise prêtre pour fuir une réalité morbide, et se retrouve par défaut mêlé à des histoires qui le dépassent, où sa fausse foi prend des airs réels. Les imposteurs, le réalisateur polonais les connaît bien. Dans Le goût de la haine, il met en scène l’un d’eux, et tronque son habit clérical contre un costume politique, en maintenant sa posture glaciale et manipulatrice.
Après sa débâcle scolaire due à un plagiat découvert par ses examinateur·ices, Tomasz se retrouve sans rien, mais reste déterminé à sauver ses apparences. Son obsession pour la famille Krasucki, à qui il emprunte de quoi continuer à financer sa fausse scolarité, le force à trouver un nouveau travail pour compenser sa perte étudiante. Dans une entreprise de relations publiques, il se découvre un talent pour le trolling internet, plus particulièrement la propagation de fake news politiques, et s’engage à destituer un opposant au pouvoir en place, Pawel Rudnicki, ami de la famille dont Tomasz vise les faveurs. Infiltrant le parti politique en question, il devient fin équilibriste des deux tableaux, montant les échelons pour se faire apprécier du candidat, et par extension rester dans les petits papiers des Krasucki – dont il convoite Gabi, une de leurs filles –, et fomente des actions pour les discréditer, n’hésitant pas à jouer avec les tensions et la montée du fascisme au sein du pays pour radicaliser les opposant·es, et les mener vers des actions violentes.
Le goût de la haine se pose en exercice de manipulation intense. Initialement engagé pour faire une campagne numérique pour discréditer le candidat, Tomasz se prête à un jeu bien plus dangereux, allant jusqu’à chercher des groupuscules isolés, et trouver le parfait candidat à un attentat suicide, dont il lui suffit d’alimenter la haine et la colère pour le transformer en parfait petit soldat matrixé. Loin d’être une simple critique, le film opère une mise en application de la déroute des réseaux, des jeux en ligne où des individu·es peuvent venir échanger leurs idées anonymement, et préparer des actions dans l’ombre, financées par d’autres inconnu·es (en l’occurrence, notre ami Tomasz). Youtubeur·ses radicaux·ales devenu·es par la force d’un réseau obscur des influenceur·ses d’extrême droite – toute ressemblance avec Papacito serait fortuite –, candidats politiques que l’on élimine du jeu pour leurs idées progressistes – toute ressemblance avec le traitement des opposants russes l’est beaucoup moins –, les actions sont nombreuses pour suivre des idéaux rarement honorables, mais les voir accomplies ici semble encore plus glacial lorsqu’il n’est jamais question de développer les idées politiques, ou idéologiques, de Tomasz. Celui qui n’agit que pour intérêt personnel se fiche des implications et des répercussions qu’il engage, n’hésitant pas à se mettre lui-même en danger pour récolter quelques lauriers, ou pour manipuler sa propre image afin de se faire apprécier du candidat gay, et pouvoir l’attaquer plus ardûment, sans être particulièrement homophobe.
Komasa apporte un soin particulier, malgré ses cadres lumineux, mettant toujours Tomasz en position de vainqueur dans ses actes d’ascension anti-sociale, à créer une ambiance totalement anxiogène. Contraint·es de suivre un sociopathe bien plus dangereux que ceux qui finissent par faire des actes en son nom, nous observons son côté voyeur lors des différentes écoutes de la famille Krasucki par le micro qu’il a planqué dans leur canapé, ses changements d’humeurs constants pour convenir à ses différent·es interlocuteur·ices, le tout englobé d’une froideur totale. À l’instar de ce personnage qui ne semble rien ressentir, ne connaître aucune limite émotionnelle qui pourrait lui faire atteindre un point de non-retour, les cadres de Komasa sont accompagnés d’une mise en scène faussement minimaliste, qui tente de ne pas orienter nos propres émotions pour nous laisser face à cette même froideur. Seuls les passages où communique le futur martyr de son commanditaire, un jeu vidéo – faisant penser à World of Warcraft –, jouent sur la colorimétrie, nous offrant le visuels de plaines ensanglantées où les personnages font exploser la colère de leur discussions par des actes meurtriers très graphiques. Proposition pertinente, tant l’univers du jeu vidéo, pour dénoter de l’enfermement social dont est victime le manipulé, représente sa bulle intérieure, où il peut exprimer ses idées intolérantes et muées par sa propre ignorance, bulle qui est le terrain de jeu que Tomasz exploite pour la faire surgir dans le monde réel.

Nombreuses sont les œuvres qui parlent de l’endoctrinement par les réseaux, de ces personnes qui au détour de mauvaises rencontres en ligne finissent par passer à des actes insensés. Loin d’en faire la victimisation, Le goût de la haine ignore jusqu’à ses perpétrateurs, ne leur offrant que peu de place ou d’excuses, pour se concentrer sur les élites qui jouissent de leur pouvoir de suggestion, et de leurs prétendues finances, pour mener à bien des desseins qui n’ont que faire des collatéraux. L’imposteur devient légitime dans ces sphères obscures, par les missions qu’il remplit, et les équilibres de terreur qu’il fait perdurer, peu importe le nombre de vies détruites. Dans un autre registre, Komasa semble offrir un retard misanthrope mais qui jamais ne s’éloigne de l’humain qui souffre et cherche sa place. Il brille par la pertinence du scénario de Mateusz Pacewicz, qu’il met à l’écran de la manière la plus dégueulasse, et par cela efficace.
Le goût de la haine, de Jan Komasa. Écrit par Mateusz Pacewicz. Avec Maciej Musialowski, Vanessa Aleksander, Agata Kulesza… 2h16
Film de 2020, Sorti le 23 septembre 2021 en VOD