Contrairement à son titre, « Le jeu de la dame » parle en réalité d’échecs. Le jeu millénaire, mais aussi les échecs de la vie, qu’ils dépendent de nos actions ou non. Ainsi l’héroïne de cette mini-série Netflix, Elizabeth Harmon (dite « Beth » Harmon, interprétée par l’étoile montante Anya Taylor-Joy) ne reçoit pas une combinaison facile pour débuter sa jeune existence. Fille d’une liaison d’adultère, son père est absent, tandis sa mère, en proie à des troubles psychiatriques, tente de se suicider avec elle alors qu’elle n’a que huit ans. Premier échec pour Beth : ce plan échoue, puisqu’elle survit.

Éviter les stratégies grossières
Ce scénario aurait pu être dit sur un fond noir, ou avec une voix off pour narrer ce passif douloureux. Ni l’un ni l’autre ici, on accède simplement à des visions en flashbacks, qui racontent une histoire, et l’on en déduit au final ce que l’on veut. Le Jeu de la Dame brille par ces moments qui font confiance à l’intelligence du spectateur, plutôt que le prendre par la main. De même, le scénario évite de nous ressortir les mêmes histoires vues et revues des milliers de fois : lorsque Beth arrive dans son orphelinat, la directrice bien que rigoriste n’endosse pas la casquette de « méchante ». De même pour sa future belle-mère d’adoption avec qui elle noue une relation pour le coup originale. Et ainsi de suite, quand la jeune Beth, prodige des échecs, va aller dans ses premières compétitions au milieu très majoritairement masculin : plutôt que de revoir encore une fois une rivalité homme/femme qui n’aurait ici aucun sens, on échappe (pratiquement) à tout personnage manichéen. De la subtilité dans une série Netflix ? C’est possible, et on espère que c’est ce qui explique aussi son succès très mérité.

Les échecs de la vie
On l’a compris, Le Jeu de la Dame parle d’une surdouée des échecs et de sa montée en puissance au fil des championnats régionaux, puis mondiaux. Pour autant, si cela marcherait pour un documentaire, cela ne suffit pas pour une œuvre de fiction. Car au risque d’en décevoir, Beth Harmon n’a jamais existé. Cela permet aux scénaristes, qui reprennent le personnage du livre éponyme écrit par Walter Tevis, de nous proposer des nuances. Si Beth Harmon sait se montrer charmante et d’une intelligence redoutable lors de duels décisifs, elle n’en reste pas moins humaine, avec coups de colère, joie et tristesse, et de nombreuses erreurs de jugements. C’est cette ambivalence qui nous fait s’attacher au personnage, le laisse parfois nous décevoir pour mieux nous réjouir ensuite devant ses remontées. Au fil des sept épisodes, qui s’enchaînent à un rythme rapide, Anya Taylor-Joy incarne avec brio Beth Harmon à un point qu’il est difficile d’imaginer qu’elle n’existe pas réellement (la preuve de la réussite de l’actrice). N’oublions pas non plus celle qui l’incarne à l’âge de huit ans, Isla Johnston, dont la performance permet d’ancrer le passif du personnage avant de le voir mûrir.

De New York à Moscou
Outre ses qualités narratives et de direction d’acteur, la série s’en sort également très bien niveau photo, décors et réalisation. L’ambiance de l’époque, des années 50 à 60, est fidèlement reproduite grâce à une lumière transformant chaque salle en arène lors des tournois, chaque hôtel en lieu romancé, chaque ville en décor de carte postale. Au fil de l’aventure, on découvre donc les États-Unis, puis le Paris d’époque, et même (spoiler!) Moscou. Mais le point d’orgue de la série se cache sans doute dans l’arrière-plan, grâce aux envolées musicales de Carlos Rafael Rivera. Ses morceaux savent passer de la légèreté insouciante de l’enfance, à l’épique lors de duels mentaux acharnés. On en viendrait presque à regretter que ce ne soit qu’une mini-série, tant on en aurait voulu d’avantage. Mais peut-être que les meilleurs choses sont, comme aux échecs, celles qui vont droit au but.
Le jeu de la dame de Scott Frank et Allan Scott. Avec Ana Taylor-Joy, Thomas Brodie-Sangster, Chloe Pirrie… Mini-série de 7 épisodes.
Disponible sur Netflix
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