S’il y a bien une annonce qui a fait couler beaucoup d’encre, c’est bien celle du retrait de ce cher Michel Hazanavicius à la réalisation du troisième volet des aventures d’Hubert Bonisseur de la Bath, ce non moins cher OSS 117. Confié à Nicolas Bedos, le tournage rassure autant qu’il inquiète, et nombreux·ses sont celleux qui n’acceptent clairement pas la nouvelle. Pourtant, comme le dit l’ami Michel, le cinéma est une affaire de volonté, et celle-ci est animée de passion lorsqu’on est aux commandes d’un projet qu’on a envie de faire. Si le diptyque lui apporte sa plus grande notoriété, ses à-côtés ne sont pas en reste niveau qualité : The Artist le confirme comme le grand cinéaste qu’il est, The Search injustement ignoré montre une facette plus sombre mais maîtrisée. Le Redoutable, quant à lui, dénote de sa capacité à maîtriser un humour cinglant quel que soit le sujet. Alors pourquoi ne pas lui faire confiance pour Le Prince Oublié ?
Le cinéphile qui se voit à chaque plan
On l’aura souvent vu dans ses métrages, Hazanavicius est un auteur qui aime jouer avec son récit pour aborder son rapport au cinéma. Quand il ne traite pas directement du sujet, en y racontant une partie de son histoire ou en parlant d’un auteur qu’il aime autant honorer que détourner, ses plans aiment jouer au mimétisme, jouent à singer les séquences classiques qu’il admire. À la manière d’un Joe Dante, sa cinéphilie suinte à l’écran, et il ne peut s’empêcher de citer, sans pour autant faire tomber ses œuvres dans la caricature ou les faire manquer de personnalité. Quand il décide d’imager les histoires qu’un père raconte à sa fille par le biais d’un monde imaginaire axé comme un studio de cinéma où chaque conte au chevet de la petite doit être mis en scène pour exister, on y voit une certaine logique.
Le Prince est le héros absolu. Tous les jours, le studio le convie pour jouer un scénario où il déjoue les plans du redoutable Pritprout – on rappelle que les histoires sont adaptées pour une très jeune enfant -, sauver la princesse et retourner à ses occupations. Dans les coulisses du studio, il est une star aimée, choyée par ses pairs, attirant autant les réjouissances que les jalousies. Rien ne peut entacher sa bonne humeur, sa naïveté et sa gentillesse innée, tout lui est acquis. Pourtant, un beau jour, se rendant à son occupation principale, il se voit rejeté, remplacé par un Prince plus jeune, correspondant plus aux attentes de la Princesse. Une question le taraude : Qui donne les ordres, qui décide des scénarios qu’il doit jouer ?

Évidemment, si l’on se tient à l’arc du monde imaginaire, volontairement simple et emprunt de naïveté quelles que soient les péripéties, on passe à côté du sujet. La tête dans laquelle tout cela se déroule, elle celle de Djibi, père célibataire, veuf de surcroît, pour qui Sofia, sa fille, est tout son univers. Ne vivant que pour elle, il l’étouffe constamment, et ce qui peut représenter une qualité dans l’éducation d’une petite fille prend un tout autre sens lorsqu’elle grandit, découvre le collège, les premiers émois amoureux, et les envies d’indépendance. Djibi se retrouve seul, face à une enfant qui change ses repères et qui n’a plus besoin de son papa poule, mais bien d’un père à ses côtés. Couper le cordon, assumer une responsabilité plus adulte qui représente des difficultés nouvelles, commencer à s’occuper de soi maintenant que l’on n’a plus à s’occuper d’autrui, des épreuves que Djibi n’est clairement pas prêt à affronter, mais qu’il doit embrasser de plein pied.
Des thématiques que l’on ne connait que trop, manquant d’éclat
Les aventures du monde imaginaire font écho au cheminement de Djibi. Après une tentative de se débarrasser du nouveau Prince (incarné par Max, le nouveau petit ami de Sofia), lui et Pritprout se retrouvent aux oubliettes, le lieu où vont les anciennes lubies enfantines. C’est en tentant de revenir au cœur de l’histoire, du studio où ils veulent jouer leur rôle principal, dans la vie de la Princesse Sofia, que le Prince apprend qu’il n’est pas le héros de cette histoire, et que la sienne se passe ailleurs, loin de l’imaginaire, loin de ce monde où Djibi s’est enfermé pour se protéger. La narration prend forme d‘un jeu de miroir, où la conscience apprend tandis que le personnage évolue. Un scénario qui n’est évidemment pas sans faire penser à Vice-Versa, notamment en ce qui concerne les Oubliettes ou même la fabrique à rêves, représentée également comme un studio de cinéma dans le chef-d’oeuvre de Pete Docter.
L’effet de déjà-vu est bien présent, et n’est pas sauvé par un scénario quant à lui bien trop faible. Les résolutions se trouvant dans l’abandon d’une parentalité trop poussée d’un côté, et dans l’avancée amoureuse, tant pour Sofia que pour Djibi avec sa voisine de palier (la femme à la porte dans le monde imaginaire) de l’autre, toutes les cartes sont déjà abattues dès les premières minutes, laissant le film sur des rails sans qu’un rebondissement ne vienne redonner de l’intérêt. À jouer sur les archétypes, les personnages manquent cruellement de profondeur. Dans le monde imaginaire, c’est tout à fait compréhensible, chaque protagoniste étant avant tout une fonction, un déclencheur émotionnel servant à connecter les synapses de Djibi, mais dans le monde réel, ce dernier va juste d’un point à l’autre sans départ ni background. Le rapport au deuil qui fait qu’il ne veut pas s’engager dans une nouvelle relation et se concentrer sur le fruit d’un amour passé, thématique pourtant évidente mais laissée de côté, et l’absence quasi-totale de personnages secondaires développés, éléments qui font que ce Prince Oublié s’apprécie mais ne se savoure pas.

Dommage tant Omar Sy se fond parfaitement dans le rôle. Sa complicité avec Bérénice Béjo et François Damiens est naturelle, et le coté enjoué du bonhomme joue avec le caractère coloré de l’univers dans lequel il est dépeint. La direction artistique du monde imaginaire, qui parvient à avoir son lot de détails, fait partie des points forts du métrage, et la preuve qu’un certain soin a été apporté. Dommage que ce soin n’ait pas été apposé aux éléments les plus importants, qui auraient pu faire du Prince Oublié une petite pépite indispensable pour petits et grands. Hazanavicius signe ici son film le plus faible, mais n’a pas à rougir de honte pour autant, enrichissant encore ses thématiques et sa filmographie d’une tentative audacieuse là où il aurait pu rester dans sa zone de confort.
Le Prince Oublié, de Michel Hazanavicius. Avec Omar Sy, Bérénice Béjo, François Damiens…1h41.
Sorti le 12 février 2020.