Septembre à Paris est une période particulière. Les rues délaissées de la capitale retrouvent petit à petit leurs habitants. Les transports se gorgent de parisiens faisant leur rentrée. Août paraît déjà bien loin. Mais septembre, c’est aussi le mois où chaque année depuis 25 ans, l’Étrange Festival prend ses quartiers au Forum des Images. Et on ne va pas se mentir, il n’y a pas meilleur endroit pour commencer la saison comme il se doit.
Il y a toujours quelque chose d’étrangement réjouissant dans ce festival. Une célébration envoûtante de films bizarres, déviants, où les fantasticophiles paradent dans la bonne humeur pour goûter aux nouveautés. Et on les comprend. Venir à l’Étrange Festival, c’est plonger dans un maelstrom de couleurs, de magie et de symboles mystérieux.
Et on commence avec Bliss
Bliss, de Joe Begos, avec Tru Collins, Dora Madison, Rhys Wakefield (2019)

Frappée par un blocage créatif, la belle Dezzy est en proie à un doute existentiel doublé d’un alcoolisme grandissant. Tout dérape lors d’une virée dans les bas-fonds nocturnes de Los Angeles avec son amie Courtney…
Le film était diffusé en deuxième séance d’ouverture avec une volonté de montrer aux spectateurs que le festival ne plaisante pas. Descente aux enfers tournée en 16mm dans un Los Angeles cauchemardesque, ce troisième long métrage de Joe Begos vous prend à la gorge pour vous crier dessus pendant 1h30. Bliss commence par un festival de la défonce où son héroïne passe son temps à prendre toute sorte de drogues, dont la « Bliss » qui lui fait oublier des moments de transe artistique. Et pendant ses errances dans les paradis artificiels, elle crée, peint, et s’efforce de rassembler les morceaux qui constitueront son ultime toile. Sans en avoir aucuns souvenirs.
Commentaire sur la création et comment une œuvre d’art peut vous consumer jusqu’à vous détruire, le film brille plus par son hystérie formelle que par sa profondeur thématique. Car Bliss commence avec les potards à 10, s’autorisant parfois de les pousser à 11 dans un déferlement de gore bas du front. Malgré ce gros bordel, Joe Begos tente de revisiter une figure classique du fantastique et signe quelques plans dont l’imagerie fera sans doute ses choux gras. On sort de la séance en citant Abel Ferrara et Gaspar Noé. Mais c’est plus vers le film matriciel de ce dernier, Schizophrenia, que Bliss va puiser sa mise en scène, sans jamais recréer la poésie froide du film de Gerard Kargl.
The Boat, de Winston Azzopardi, avec Joe Azzopardi. (2018)

Tandis qu’il effectue une promenade en mer, un jeune homme croise la route d’un voilier qui semble abandonné. Il monte sur le navire pour savoir ce qu’il en est…
Et pour être honnête, ce qui se passe ensuite n’est pas d’un grand intérêt. Film concept par excellence, The Boat est loin d’être un excellent film. Le début ne s’appesantit pas de présenter le personnage et nous montre le voilier abandonné dans les dix premières minutes. On pourrait s’attendre à moult rebondissements, tant le scénario semble pressé de montrer ce navire mystérieux, coincé dans une brume sortie de nulle part. Mais la suite n’est pas vraiment inspirée, menant le protagoniste à être enfermé pendant presque 30 minutes dans les toilettes du bateau, la suite de ses péripéties étant à peu près du même acabit.
Les frères Azzopardi veulent sûrement marcher dans les pas de Stephen King avec ce Christine sur l’eau. Mais la réalisation peu inspirée et un acteur pas vraiment convaincant condamnent The Boat a devenir un film dont on se souvient seulement comme un contre exemple de l’adage « less is more ».
Hail Satan ?, de Penny Lane, avec Lucien Greaves, Les membres du Temple Satanique. (2019)

Penny Lane revient avec un nouveau documentaire, qui nous propose de plonger dans l’univers particulier du Temple Satanique, fondé en 2013. Un temps considérés comme (au mieux) des provocateurs ou (au pire et plus généralement) de dangereux monstres qui mettent à mal la société, ses fidèles se chiffrent aujourd’hui à plus de 100 000 membres. Le Temple fut récemment reconnu en tant qu’église, et à ce titre n’hésite pas à manifester et exprimer ses opinions publiquement, au grand dam des institutions établies. Un choc des cultures à la fois hilarant et déroutant.
Qui aurait pu penser qu’un des film les plus jubilatoires de ce début de festival serait un documentaire ? Dès les premières minutes, la salle est hilare tant les événements montrés sont grotesques. Penny Lane laisse penser que son documentaire est une façon de montrer à quel point Le Temple Satanique n’est qu’une farce ou un truc d’illuminés. Mais plus le film avance, plus le sujet devient sérieux. On comprend alors mieux la volonté politique de ce groupe qui est tout sauf un rassemblement de fanatiques.
Animés par une foi inébranlable en la communauté et dans le fait que les États-Unis méritent d’avoir une pluralité religieuse, les membres du Temple Satanique font plus penser à des petits diablotins trollesques qu’à des mages noirs avides de sang. Car Hail Satan ? n’est pas seulement un documentaire drôle sur un sujet complètement fou, c’est une œuvre qui s’efforce de montrer les contradictions des États-Unis et comment la figure du Mal est devenue une forme de contre pouvoir. Si vous avez l’occasion de le voir, jetez vous dessus !
Laurin, de Robert Sigl, avec Dóra Szinetár, Brigitte Karner, Károly Eperjes, Hédi Temessy, Barnabás Tóth. (1989)

Dans une petite ville portuaire au début du XXe siècle, la jeune Laurin vit chez sa grand-mère. Son père, un marin, est sans cesse absent, et sa mère est mystérieusement décédée dans un étrange accident. Soudain, de jeunes enfants se mettent à disparaître dans le village…
L’Étrange Festival, c’est aussi l’occasion de voir des films oubliés, méconnus et c’est un véritable plaisir de découvrir Laurin sur grand écran. Le réalisateur, Robert Sigl, est venu directement d’Allemagne pour présenter son premier long métrage et nous raconter son histoire. C’est avec énormément de pudeur et d’humilité qu’il explique qu’après avoir gagné un prix pour Laurin, son film n’a jamais été diffusé en Allemagne et qu’il a fait une réapparition en dvd dans les bacs des années après, les droits ayant été acquis par une société britannique. Depuis, le film tend a être réhabilité et a même eu droit à une restauration somptueuse diffusée au festival. Et vraiment, ça aurait été dommage que ce film disparaisse complètement.
Réalisé alors qu’il n’avait que 24 ans, Laurin est d’une maturité et d’une maîtrise assez rare dans sa mise en scène et sa thématique pour un premier film. Si le long métrage n’est pas sans rappeler le travail de Bava ou Argento, Robert Sigl s’en défend et dit avoir découvert les œuvres de ces cinéastes italiens bien plus tard. Malgré tout, il partage avec eux cette admiration des maîtres de la peinture et cite Chagall et Rembrandt comme de véritables inspirations. Et ça se sent, tant Laurin regorge de plans magnifiques d’une composition rappelant des peintures classiques. C’est un trésor gothique fascinant, à la poésie noire, qui déboulonne le monde des adultes et ses figures d’autorités. Vous pourrez bientôt (re)découvrir ce bijou oublié qui aura une sortie DVD/Blu-Ray chez Le Chat qui Fume en décembre.