Après sa fable écologique La Croisade en 2021, Louis Garrel revient avec son quatrième film en tant que réalisateur. Présenté en Hors-Compétition au dernier festival de Cannes, il y incarne (pour la quatrième fois) Abel, son alter-ego à l’écran, dans un mélange détonnant et réjouissant de comédie et d’émotion.
Abel apprend que sa mère Sylvie (Anouk Grinberg) va épouser Michel (Roschdy Zem), l’un des détenus de la prison où elle travaille en donnant des cours de théâtre. Angoissé par cette nouvelle, il veut la protéger lorsqu’iels s’installent ensemble. Avec l’aide de sa meilleure amie Clémence (Noémie Merlant), Abel surveille les faits et gestes de Michel sans savoir que ce beau-père peut lui apporter bien plus que ce qu’il ne pense…
Si ce synopsis laisse présager une petite comédie familiale, il n’en est rien, le film puisant aussi bien dans les codes du film de casse, de la comédie et de la romcom. Libéré du parisianisme embourgeoisé de ces deux dernières réalisations, Garrel embarque les spectateur·ices dans une aventure universelle avec des personnages écrits avec la délicatesse du propos. Abel et Sylvie forment un puissant tandem mère-fils, elle célibataire et lui veuf, il n’y a donc pas d’intermédiaire entre elleux rendant le lien qui les unit très, voire trop, présent.
Rien d’étonnant dans ce rapport mère-fils ubiquiste quand on voit, à la fin du générique, que le film est dédié à Brigitte Sy, la mère du réalisateur, qui s’est elle-même mariée en prison avec son Michel. La limite entre souvenirs et fiction est toujours brouillée avec Louis Garrel, faisant parfois office de catharsis dans quelques œuvres (notamment dans l’Homme fidèle et la Croisade) en oubliant le/la spectateur·ice, perdu·e entre le voyeurisme de certaines situations et d’autres beaucoup trop grandiloquentes.

L’Innocent déroge à cette thérapie en se présentant plutôt comme un hommage au jeu, à la comédie. Plusieurs scènes sont semblables à des répétitions de prises, comme pour questionner l’authenticité des comédien·nes et s’interroger sur l’importance des faux-semblants au quotidien. À la fois drôle et touchante, la narration offre une grosse part à l’énergie des acteur·ices qui s’en donnent à cœur joie. L’alchimie comique entre Noémie Merlant et Louis Garrel est dévastatrice tout autant que le détachement et la sensibilité de Roschdy Zem et Anouk Grinberg. L’ambition du scénario permet à cet humour d’osciller entre un burlesque assumé et une satire sur la production audiovisuelle entre le jeu, la vérité et le mensonge tout en évitant le ridicule et la grossièreté.
À travers cette histoire rocambolesque (mais personnelle), Louis Garrel mont(r)e une pièce où chaque personnage et situation arrivent à faire rire et émouvoir sans tomber dans un propos putassier. Sa mise en scène, toute en nuance et en finesse, permet de dissocier l’objectif de la caméra et l’œil du/de la spectateur·ice. Elle laisse aussi le champ libre aux regards des comédien·nes qui transmettent autant d’émotions qu’un geste ou une parole. Epaulé par ce casting exceptionnel, il tâte le rapport entre la vie et l’amour à travers la notion de jouer et des aprioris. Il n’est pas anodin que tous les personnages aient un autre rôle dans le scénario que celui prévu, certain·es jouent à se faire passer pour d’autres et certain·es aux metteur·ses en scène. Une manière de montrer que la vulnérabilité et la sensibilité ne sont pas des vilains défauts.
L’innocent de Louis Garrel. Écrit par Tanguy Viel et Louis Garrel . Avec Louis Garrel, Roschdy Zem, Anouk Grinberg… 1h39.
Sortie en salles le 12 octobre 2022.