Illustration : @downtownzoe
Qu’il est compliqué de commencer ce papier. Plusieurs jours sont passés depuis le sacre aux César de Roman Polanski en tant que meilleur réalisateur pour son film “J’Accuse” et pourtant la colère est toujours là et ne disparaîtra plus, pas cette fois. Ici je parle en mon nom, en tant que rédactrice, en tant que cinéphile mais avant tout en tant que femme. Notre voix et notre travail ont longtemps été passés sous silence au profit de celui des hommes et puis il y a eu ce regain. Celui poussé par #MeToo, #BalanceTonPorc, des collectifs de femmes prêtes à parler et à dire stop. Des voix se sont élevées dans la société mais également dans l’industrie du cinéma qui subit de plein fouet ce sexisme et cette pression patriarcale. Pendant un instant nous y avons cru, certains sont tombés, d’autres non mais la parole s’est libérée. Quelque chose s’est transformé et ce quelque chose – qui a eu bien du mal à grandir et à se faire entendre – a été réduit en poussières en l’espace d’un instant, celui où Roman Polanski est sacré devant l’industrie cinématographique française, devant plus de deux millions de téléspectateurs. Cette force qu’on a voulu nous enlever n’a eu que pour effet de nous lever, encore plus fortes et encore plus nombreuses.
Vendredi soir, Adèle Haenel a eu un geste fort, celui de se lever, de partir, de crier “Bravo la pédophilie” et de nous montrer la voie. Celle qui avait lancé un premier mouvement de libération de parole assez fort en novembre dernier lors de ce live sur Mediapart est devenue en quelques instants un symbole, celui des femmes ayant subi des violences sexuelles mais encore plus généralement celui des femmes dont on veut faire taire la voix et le travail. Ce symbole tellement fort avait bouleversé tout un pays et toute une industrie, du moins c’est ce qu’on croyait… Car cette industrie a prouvé une nouvelle fois toute son hypocrisie lorsqu’elle a nommé douze fois “J’Accuse” et son réalisateur aux César. Adèle Haenel a alors repris la parole pour dire que “distinguer Roman Polanski, c’est cracher aux visages de toutes les victimes”. Et bien ce vendredi 28 février, l’Académie des César l’a fait impunément. Un choc, une honte, une désillusion, cette industrie qui soi-disant nous soutenait nous aurait-elle abandonnée ? Ou bien n’a-t-elle jamais été à nos côtés ?
Cet appel rempli de colère et de rage ne nous empêche pas pour autant de distinguer l’oeuvre de l’artiste. Il est tout à fait possible – et normal – de reconnaître les qualités cinématographiques de “J’Accuse” (je mets ces propos au conditionnel car je ne l’ai pas vu). Et je ne suis pas là pour blâmer celles et ceux qui ont voulu voir l’œuvre. Complicité en y participant financièrement, cela ne fait aucun doute, mais l’œuvre existe, lui survivra, et ses qualités doivent être au goût de chacun, loin de moi l’idée de faire la révisionniste, nous avons tous preuve par le passé d’œuvres brillantes par des auteurs qui l’étaient bien moins. Mais quel est le message que nous devons comprendre lorsque son réalisateur est nommé et, de surcroît, primé par la suite ? Car ce César ne récompense pas un film (sinon il aurait eu celui de Meilleur film, ce qui aurait pu faire sens) mais l’homme, un homme jugé coupable pour des faits de pédophilie et accusé par plusieurs autres personnes d’attouchements sexuels. En prenant cette position l’Académie donne son approbation envers cet homme et le dédouane de ses actes sous couvert de son “talent de cinéaste” qui évidemment existe mais qui, dans le contexte aujourd’hui, est inadmissible.
Mais là où le bât blesse encore plus, ce sont les réactions après coup : les personnes faisant partie de cette industrie, entre celles qui ne prennent pas la parole et celles qui défendent cet homme, l’opinion publique sur les réseaux sociaux où s’affrontent les deux camps avec parfois énormément de violence ou les médias qui, pour certains, prennent partie de manière plus que discutable (cf la couverture de Libération ou un article du Monde présentant le réalisateur comme une victime). Le chemin est encore très long, nous nous en sommes rendus compte ce week-end mais la colère ne fait que commencer.
Pourtant tout semble encore si compliqué. Comment éveiller les consciences ? Comment faire réagir les médias et l’opinion publique ? Comment faire pour que justice soit faite dans un pays où elle semble absente ? Comment se sentir entendue et soutenue lorsqu’une cérémonie censée représenter le Septième art dans toute sa splendeur vous fait un tel doigt d’honneur ? La honte, le mépris, le dégoût… Un dégoût envers cette industrie, envers cet art qui nous dit tous les jours que tout est possible. Non tout n’est pas possible, encore moins pour les femmes, encore moins pour les minorités; en témoigne d’ailleurs l’accueil froid qu’a reçu Aïssa Maïga lors de son discours rempli de bon sens et de propos que la majorité dominante et repliée sur elle-même refuse toujours d’entendre. Ce n’est pas grave, nous l’avons entendu et nous la remercions tout comme nous remercions Adèle Haenel pour son courage, Florence Foresti pour son humour sans-filtre, manquant certes de subtilité mais pas de sincérité pour une colère difficile à contenir au vu de sa position de maîtresse de cérémonie, toutes ces femmes qui continuent de parler et de raconter leurs histoires, toutes celles qui se battent quotidiennement pour que les femmes soient entendues et qu’elles soient traitées à l’égal des hommes.
Mais après la cérémonie, qui sont les premières personnes à avoir été blâmées ? Les femmes. Adèle Haenel pour avoir “attiré l’attention” (on vous rappelle qu’elle est partie dès que le nom de Polanski en meilleure réalisation a été prononcé, pas lors du Sacre d’Anaïs Demoustier, donc les accusation de jalousie, vous savez quoi en faire), Florence Foresti pour avoir tiré à (grosses) balles réelles lors de son discours, Aïssa Maïga pour son discours… Encore une fois on essaie de faire taire celles qui parlent, déplacer le problème pour invisibiliser les vrais soucis qu’il y a dans cette industrie et constamment pointer du doigt les femmes comme tous les maux de ce monde. Après tout, pourquoi faudrait-il se remettre en question lorsqu’on a des cibles à portée de main ?
À vous qui soutenez Roman Polanski, qui estimez que l’art est plus fort que la politique, à vous qui dites qu’Adèle Haenel coucherait avec Polanski pour jouer dans un de ses films, qui osez demander à ce qu’on redéfinisse la pédophilie, à vous qui estimez que si nous subissons des violences sexuelles c’est que nous l’avons cherché, à vous qui ne daignez pas laisser la place à la femme dans la société et dans cette industrie cinématographique, sachez que notre combat ne fait que commencer et qu’on parlera, qu’on criera, qu’on se battra jusqu’au bout. Nous l’avons bien compris, cette lutte nous la menons seules, elle sera longue, compliquée et plus d’une fois nous aurons envie d’abandonner mais nous ne vous laisserons pas gagner et nous opprimer de la sorte, jamais.
Ce n’est qu’un début, le début d’une révolution.
Margaux Maekelberg, rédactrice en chef