Niels Schneider et Adèle Exarchopoulos sont deux des talents français de cette nouvelle génération qui savent s’illustrer dans n’importe quel registre. Pour Revenir, ils incarnent des personnages brisés réunis autour d’un deuil commun. Un tournage intensif sur lequel ils sont revenus durant une interview.
À la lecture du scénario, qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce film ?
Adèle Exarchopoulos : J’avais adoré le court-métrage Marlon de Jessica Palud. À la lecture du scénario j’avais aimé le fait qu’elle laisse planer le mystère, qu’il y ait énormément de thèmes abordés, que ce soit la culpabilité, la famille, le regret, le silence… mais que ce ne soient jamais des sujets à proprement parler. Je trouve ça rare. Souvent on traite les choses, on les rend misérabilistes ou on les fait exister plus qu’elles ne le sont et parfois de manière un peu fausse. Après ce qui a encore plus confirmé mon désir c’est ma rencontre avec elle car elle n’est pas du tout dans la séduction de ses personnages, elle n’a pas fait de sacrifices pour que je joue Mona et j’ai aimé sa façon de défendre ses personnages. Et puis j’adorais mon rôle et j’étais séduite par l’idée de tourner avec Niels [Schneider].
Niels Schneider : Lorsque Jessica [Palud] m’a appelé je tournais un film à Sarajevo. J’ai lu son scénario et c’est dur un premier film parce que tu ne peux pas te baser sur un travail précédent et il y a la rencontre qui joue certes mais pour moi la meilleure façon d’évaluer tout ça, ce sont les projets faits auparavant. Son court-métrage m’a hyper ému, j’aimais la pudeur de ses personnages, sa façon de filmer, rien ne passe par les mots… Elle a le sens de la nuance, du détail et je trouve ça très beau. Je crois que c’est le premier personnage positif que je joue qui est tendre, qui n’a pas un fond ambigu ou noir derrière. Puis quand Jessica m’a dit qu’elle pensait à Adèle je voulais vraiment faire ce projet car c’est une actrice que j’admire depuis très longtemps. Quant aux personnages, ils demandaient une vraie implication physique car on ne pouvait pas s’appuyer sur les mots ou en tout cas il fallait donner du poids à des mots banals et je pense que dans ce cas le partenaire de jeu est très important car dans ce genre de film tu ne peux que t’accrocher au regard de l’autre.
Comment s’est déroulé la collaboration entre vous deux ? Est-ce qu’il y a eu des répétitions en amont ?
Non pas du tout. Je ne pense pas que la réalisatrice se soit posée la question parce que j’ai passé des essais mais sans Adèle et je pense qu’elle [Jessica Palud] voulait qu’on se rencontre avant car les personnages ne se connaissent pas au début du film donc je pense qu’elle voulait…
Adèle : Elle ne voulait pas qu’on se voit, elle voulait garder cette fraîcheur. Et c’est ce qui permet de construire le film et ses personnages. Son personnage m’apprend des choses de par son absence et moi par le fait qu’il n’ait existé qu’à travers ce que j’avais entendu vu que je suis la veuve de son frère et que je vis avec ses parents. Du coup je pense qu’elle voulait laisser cette part de mystère et ces choses qu’on n’explique pas trop lorsqu’on rencontre quelqu’un entre les préjugés qu’on peut avoir et ce côté animal et c’est une idée que j’aime bien.
Niels : Et puis je pense que Jessica ne voulait pas “verrouiller” les choses et voulait faire avec le présent et l’instant T pour garder une spontanéité, une vérité du moment.
Le film est une adaptation très libre du livre de Serge Joncour L’amour sans le faire. Est-ce que vous l’avez lu avant de tourner le film ?
Adèle : Jessica ne m’en avait même pas parlé, je l’ai appris assez tard et puis elle ne le souhaitait pas. Puis j’avoue que je n’avais pas forcément envie de me nourrir de quelque chose qui existait déjà. C’est un peu comme lorqu’on joue des gens qui ont existé, j’avais peur de me verrouiller à un faux code d’honneur. Je préférais laisser exister Mona comme j’avais envie de la ressentir.
Niels : Moi elle ne voulait pas que je le lise mais je l’ai quand même fait, avec cependant beaucoup de distance, sans vouloir chercher de réponse. Je l’ai lu presque pour mon plaisir tout en me disant qu’il y avait peut-être une ou deux choses que je pouvais aller chercher, mais pas pour essayer de reproduire un schéma déjà existant.
Votre troisième partenaire de jeu Roman Coustère Hachez (Alex, le fils de Mona) est le centre de gravité de ce film. Comment s’est passé le tournage avec lui ?
Adèle : C’est toujours assez fascinant de jouer avec des enfants parce qu’ils te désarment par leur naturel et le fait qu’ils n’ont rien d’ancré dans quelque chose de politiquement correct ou qui n’ont aucun réflexe professionnel. C’est extrêmement vivant mais aussi compliqué à gérer parce que c’est l’énergie, l’imagination et le rythme d’un enfant. C’est quelque chose de très statué par la DDASS donc des fois tu te retrouves à jouer avec une peluche parce qu’il a dépassé son quota mais c’est hyper galvanisant et il y a souvent des surprises. Par exemple pour une scène dans la piscine il disait qu’il savait nager …
Niels : …Trop mignon mais c’était horrible… [rires] On lui demande avant s’il sait nager et il dit “Evidemment je sais nager depuis quatre ans au moins !” [rires]
Adèle : Il avait quel âge ?
Niels : Il avait six ans.
Adèle : Du coup Jessica lui dit qu’il doit pas non plus nager parfaitement parce que Niels est censé lui apprendre certaines techniques. Il y a un moment de flottement je suis au bord de la piscine, Niels est dedans et ça dure quelques secondes où je me dis “Dis donc il fait vachement bien le petit qui sait pas nager”.
Niels : On se dit qu’il est super, on dirait même qu’il se noie, il devient même violet à un moment.
Adèle : Et t’as cette petite seconde de réflexion où tu te demandes s’il joue ou s’il se noie vraiment. Et du coup j’ai plongé et on l’a rattrapé pour le sortir de là. J’ai eu peur et je lui dis “Putain fallait dire que tu savais pas nager” et il était assez mignon parce qu’il était vexé et il m’a répondu : “Mais j’ai oublié toutes mes techniques !” [rires]
Niels : Un enfant c’est un peu le roi sur le plateau parce que c’est quand il veut et je veux dire c’est vraiment quand il veut. Mais en même temps quand il te donne il est fabuleux car il te donne tout. En plus moi j’ai toujours pensé que j’étais nul avec les enfants, que je savais pas trop comment leur parler et j’appréhendais quand même beaucoup, j’avais peur qu’il m’aime pas et puis s’il m’aime pas il va le dire à tout le monde [rires].
Adèle : Puis c’était dur pour moi aussi de lui hurler dessus. Il y avait quelque chose d’hyper gênant mais finalement ça s’est bien passé. Mine de rien c’est compliqué pour un enfant les tournages : le système de répétions, les tournages parfois de nuit notamment avec Niels, les scènes sur la moto j’étais absolument angoissée. T’as une responsabilité en plus envers cet enfant de savoir s’il va bien, s’il est à l’aise, s’il a peur…
Adèle, vous qui êtes une jeune mère, est-ce que vous sentez une différence chez vous lorsque vous tournez avec un enfant ?
Je ne pense pas car c’est tellement différent que je ne saurais pas faire de lien. Pour le coup elle a ce rapport là aussi que Mona élève son enfant seule dans des conditions difficiles, qu’elle a un travail assez éprouvant, où elle est aussi en train de perdre quelqu’un qu’elle considérait comme sa mère donc il y avait aussi tout ce système d’épuisement moral. Mon fils est petit donc c’est pas le même rapport. Peut-être que ça a accentué le désir de Jessica. Moi j’avais envie de jouer une mère mais au-delà de ça c’était son courage, ce truc là où énormément de femmes vivent ce genre de situation et font tout pour s’en sortir. C’était ça qui m’attirait le plus.
En plus d’être un drame familial, Revenir est aussi un film engagé. C’est important pour vous qu’un film puisse ainsi délivrer un message qui fait écho à des situations économiques et sociales importantes et finalement peu évoquées ?
Niels : J’ai grandi au Québec et mon image du cinéma français c’était les grands appartements haussmanniens, des drames de couples qui se passaient dans de grands appartements et des films de banlieue mais qui du coup étaient quand même citadins. Du coup j’ai l’impression que depuis deux-trois ans on se déplace un peu vers la campagne avec des films comme Petit Paysan, etc… et je trouve ça vraiment bien. Je trouve ça chouette que la fiction s’intéresse à ces gens-là et qu’ils n’en fassent pas forcément le sujet principal. C’est quelque chose de présent et en filagramme.
Adèle : Je pense qu’il y a toujours quelque chose de politique et d’inconscient dans les choix qu’on fait mais je ne choisis pas un film en me disant que j’aurais l’air engagée ou je ne cherche pas à savoir s’il est engagé car c’est ce que j’aime aussi dans le cinéma c’est que c’est un grand terrain d’expérimentation pour un acteur. Et pour en revenir à Mona c’est vrai je me suis dit que ce sont des personnes oubliées que ce soit le monde agricole ou ces familles qui essaient de survivre peu importe le contexte. Inconsciemment tous nos choix sont politiques après est-ce important pour moi de m’engager ? Moins en tant qu’actrice qu’en tant que mère ou citoyenne.
Tout au long de votre carrière vous vous êtes beaucoup plus illustrés dans des drames que dans des comédies et les rares comédies dans lequel vous avez tourné ont quelque chose de fantastique notamment vous Adèle qui jouez dans le prochain film de Quentin Dupieux ou vous Niels avec l’excellent Belle Dormant.
Mais moi le problème c’est qu’on me propose pas de comédies alors que j’aimerais énormément. Je sais pas si c’est restreint parce qu’avant j’ai joué dans des drames mais pour le coup c’est ce qui est chouette en tant qu’acteur de pouvoir passer d’un genre à un autre donc j’aspire à jouer des comédies. Après la comédie en France est assez sectorisée, soit t’as le côté populaire – et quand je dis populaire je veux dire parce que ça fait énormément d’entrées – soit des films comme ceux de Quentin Dupieux où tu ne sait jamais trop où te placer mais j’ai fait aussi la série de Jonathan Cohen, La Flamme, qui est pour le coup hilarante.
Niels : Moi ce qui me plaît dans l’humour c’est quand il y a quelque chose de personnel quand même. Quand on sent le sens de l’humour de quelqu’un et surtout qu’on a le même sens de l’humour. Quand je sens que ce sont des blagues générales et faites pour faire rire la grande masse ça me touche un peu moins. Puis j’aime le mélange entre la comédie et le drame, parfois je ris plus quand je suis déjà émue par quelqu’un avant. D’ailleurs je joue dans le prochain film d’Emmanuel Mouret, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait et c’est moi qui l’ai appelé pour lui demander de jouer dans le film et il m’a dit au téléphone : “Mais non Niels c’est une comédie, t’es pas drôle quoi.” [rires] Je l’ai convaincu de me faire passer des essais et j’ai eu le rôle.
Revenir de Jessica Palud. En salles le 29 février.