Alors que le sixième long-métrage The King of Staten Island du réalisateur Judd Apatow est actuellement au cinéma, nous avons décidé de revenir sur sa filmographie. Un univers unique, trash et d’un lourdingue totalement assumé qui, malgré son apparente bêtise, dessine toujours avec plus ou moins de justesse l’âge adulte qui est loin d’être toujours facile, d’autant plus lorsque l’amour ou la famille s’en mêle.

40 ans, toujours puceau (2005)
Tout est dit dans le titre. Andy Stitzer a 40 ans et il est toujours puceau. Ses collègues de travail David, Jay et Cal se mettent alors en tête de régler ce problème. Il est désormais temps pour l’introverti Andy de franchir le grand cap de la première fois ! C’est en 2005 que Judd Apatow fait ses premiers pas en tant que réalisateur avec son premier long-métrage qui signera d’ailleurs une longue collaboration avec ses habitués : Paul Rudd et Seth Rogen. Sous ses airs de comédie qui ne vole pas très haut (ce qui n’est pas totalement faux dans la forme), Judd Apatow dessine un tendre personnage avec un secret qui le met mal à l’aise et qui démontre d’autant plus que la sexualité reste une donnée importante quant à la vision de l’autre. Dès lors que ses collègues apprennent qu’il est vierge, Andy est raillé au travail. Problème également lorsqu’il faut se mettre à draguer quelqu’un ou encore tomber sous le charme d’une jeune femme sans savoir comment lui annoncer la nouvelle. Beaucoup de blagues pipi-caca – vous verrez, c’est l’apache d’Apatow – qui cachent une vraie sensibilité et une plus profonde réflexion sur ces adultes pas totalement adultes.

En cloque, mode d’emploi (2007)
Retour sur le second film du réalisateur et qui est accessoirement un des meilleurs. Que se passe-t-il lorsque deux personnes diamétralement opposées se retrouvent futurs parents ? Rien de bon apparemment. Ben Stone est un grand enfant qui adore passer du bon temps avec ses copains entre beuveries et fumettes. Son principal projet de vie ? Créer un site qui permettra aux internautes de voir des scènes de nu de leurs actrices préférées. De l’autre côté, Alison Scott est une jeune femme ambitieuse devenue intervieweuse de célébrités et qui, pour fêter ça, sort en boîte avec sa sœur Debbie. Quelques verres plus tard, elle tombe sous le charme de Ben. Une aventure d’un soir qui va se transformer en bien plus que ça. Les voilà tous les deux embarqués dans une aventure qui les dépasse entre un Ben qui n’a aucune idée de ce que signifie le mot “père” et une Alison qui est effrayée à l’idée que cette grossesse compromette sa carrière. Judd Apatow décortique toutes les angoisses – petites comme grosses – qui surviennent à l’arrivée d’un enfant avec toujours aussi peu de demi-mesures. Un vrai régal grâce à des dialogues piquants et une Katherine Heigl qui trouve là son meilleur rôle.

Funny People (2009)
Le réalisateur commence à prendre ses marques et signe son meilleur ouvrage. Premiere disait à propos : “Jamais un film comptant autant de fois le mot “couilles” n’aura été aussi élégant” et on ne saurait être plus d’accord. Et c’est là que réside toute la force d’Apatow. Celui d’être vulgaire à outrance tout en conservant l’intelligence et la justesse de ses propos. Funny People est la quintessence de son cinéma. Un humoriste célèbre apprend qu’il va bientôt mourir. La seule personne au courant ? Son assistant. Alors que ses jours son comptés, George Simmons repense à ses précédentes années et à son ex-femme Laura qu’il décide de revoir sur un coup de tête avant de retomber amoureux d’elle. À côté de ça tous les petits problèmes de la vie de star, familiaux et amicaux gravitent autour de nos personnages dans un très joyeux bordel. Paradoxalement, le film est rempli à outrance de vulgarité mais cache une vraie sensibilité et quelque chose de beaucoup plus sombre. Adam Sandler trouve là son plus beau rôle, en humoriste en fin de vie qui découvre ce que c’est de vivre pleinement et Seth Rogen nous confirme que sous la direction d’Apatow il sait être bon.

40 ans, mode d’emploi (2013)
On retrouve alors des personnages que nous avions rencontré dans En cloque, mode d’emploi. Debbie et Pete approchent la quarantaine et rien n’est facile pour eux. Financièrement le label de musique de Pete est en train de couler, son père lui soutire sans aucune gêne de l’argent chaque mois pour nourrir sa nouvelle petite famille et les tensions s’accumulent avec sa femme. Debbie quant à elle doit gérer toute cette dérive, entre son aînée en pleine crise d’adolescence et son couple où la magie des premières années a disparu. Petite baisse de régime pour Apatow avec un film un poil long (un peu plus de deux heures) pour quelque chose qui tourne assez vite en rond. On l’a compris, Debbie et Pete ne sont plus heureux, chacun a des choses à reprocher à l’autre, éduquer des enfants sont des problèmes que tout couple a probablement rencontré tôt ou tard dans sa vie. On ne peut décemment pas enlever le capital sympathie de Paul Rudd et Leslie Mann mais on a un peu baillé devant même si on se délecte toujours autant des scènes loufoques et vulgaires à souhait.

Crazy Amy (2015)
Et c’est un lead 100% féminin et quel lead ! Amy Schumer incarne Amy, une jeune femme persuadée que l’amour n’existe pas et dont la notion de couple lui est totalement inconnue. Mais à ne jamais vouloir d’attaches, Amy s’enlise dans un train-train quotidien. Alors quand elle rencontre un brillant médecin du sport, toutes ses convictions commencent à tanguer dangereusement. Outre l’écriture très fine et ses scènes hilarantes à la pelletée, le film peut compter sur la tornade Amy Schumer qui dégomme tout sur son passage. Sa confiance en elle et son humour irradie le film qui a le peps des premiers films d’Apatow. On peut également souligner le soin que prend le réalisateur à travailler ses rôles secondaires tout aussi bien écrit (Tilda Swinton est absolument méconnaissable). Impertinent et terriblement touchant, Judd Apatow sait où puiser dans la vie de la comédienne Amy Schumer pour en tirer le meilleur d’elle-même et de son histoire (énormément de choses dans ce film sont autobiographiques). Et sans le savoir, Crazy Amy dessinait déjà la direction qu’allait prendre le réalisateur pour son prochain long-métrage.

The king of Staten Island (2020)
Cinq ans après Crazy Amy, Judd Apatow revient derrière la caméra avec un film qui, on peut le dire, se distingue largement du reste de sa filmographie. À vrai dire, deux groupes s’affrontent. Ceux habitués au côté trash du réalisateur qui le trouvent trop “sage” et l’autre écurie qui trouve que The king of Staten Island est sont film le plus abouti. Ici on sera un peu plus du côté de la première école même s’il faut reconnaître une certaine maturité dans son cinéma qui équilibre humour et émotion avec énormément de précision. Un poil trop long (le film pouvait facilement être raccourci d’une vingtaine de minutes), The king of Staten Island dépeint la vie d’adulte assez chaotique que mène Scott. Alors que son père, pompier, est décédé dans l’exercice de ses fonctions lorsqu’il avait 7 ans, ce manque laisse toujours une trace chez Scott qui est un doux rêveur bien loin d’avoir les pieds sur terre. Un garçon totalement en décalage et à l’arrêt quand sa petite sœur entre en fac, sa mère tombe amoureuse de quelqu’un et ses amis commencent à lui faire faux bond un par un. Ne lui reste plus qu’à apprendre à devenir adulte que ce soit de la manière douce ou forte. Un film extrêmement mélancolique et peut-être plus pessimiste que les autres dans le traitement de son sujet. Un sujet largement inspiré aussi de la vie de son acteur principal Pete Davidson absolument touchant. Encore une fois les seconds rôles sont soignés dont celui de Steve Buscemi. Une jolie balade aussi drôle qu’émouvante qui signe encore un nouveau pan dans le cinéma de Judd Apatow.
Mêler vulgarité et écriture fine n’est pas l’apache de tout le monde mais Judd Apatow mène sa barque avec brio. Comment réussit-il ce tour de main ? Peut-être en réfléchissant d’abord à un scénario solide avant de s’attaquer aux blagues potaches mais c’est aussi sa capacité à trouver la personne idéale pour chacun de ses films. À travers ses six longs-métrages, le réalisateur réussit à nous dépeindre des adultes dont l’humour apparent ne parvient pas à cacher des douleurs plus profondes (Funny People, The king of Staten Island) ou encore des adulescents obligés de devenir adultes du jour au lendemain (En cloque, mode d’emploi) avec toujours autant de liberté de ton et d’empathie. Un réalisateur unique en son genre qui, on l’espère, mettra un peu moins de temps pour son prochain long-métrage.