Après une plongée dans l’horreur psychologique et le film de gangsters n’épargnant aucune violence, nous continuons notre cycle Kim Jee-Woon. Ici, ses deux métrages les plus connus dans l’hexagone, qui ne déméritent pas leur réputation.
Le Bon, La Brute, Le Cinglé (2008)
L’immense désert de la Mandchourie, un train, et une horde de gars, de l’armée aux barbares du coin, qui se bataillent un artefact. Le Cinglé, ce bon brave, qui parvient à le choper, pour s’apercevoir que c’est une carte. Au trésor, selon lui, évidemment. Mais qu’est donc ce trésor ? À vrai dire, savoir pourquoi cette petite cohorte va s’échanger les tirs n’a aucune importance, on s’en fout même royalement. Le “McGuffin” est étiré au possible, dans une course sans temps mort qui ne nous laisse jamais la moindre chance de reprendre notre souffle. Spectacle de tous les instants, nous voilà.
De l’action “non-stop“, pour laquelle Kim Jee-Woon est allé mêler son ADN à celui de George Miller, ses Mad Max crasseux et impitoyables, qui sollicitent constamment notre rétine. L’inventivité est de mise, une grandiloquence persistante qui joue de tous ses tableaux. Au-delà du désert, privilégiant les course-poursuites épiques nous rappelant justement le fameux “Wasteland“, ou les grands moments d’Indiana Jones, tous les lieux sont prétextes à des échanges musclés, des marchés aux cabarets, et chaque décor se voit mis à rude épreuve par la tornade qui passe ici. De la destruction, de la confusion tant dans l’esprit des protagonistes que dans celui du spectateur qui reste coi face à la débâcle, on sort des deux heures totalement épuisé, sur les rotules, mais ravi d’avoir pu admirer une œuvre qui jamais ne cesse de se renouveler, ne lasse à aucun moment en sacrifiant tout ce qu’elle peut sur l’autel du pur divertissement.

Pour jouer de l’amusement du spectateur, Kim Jee-Woon nous offre une panoplie de personnages archétypaux, mais porte son intérêt sur ceux que l’on n’imagine guère. À l’instar de l’immense classique de Sergio Leone dont il arbore le titre avec fierté, on pourrait penser que son protagoniste principal serait le Bon tirant à lui la vertu, mais c’est sur le Cinglé qu’il va apporter la majorité de son attention, laissant d’ailleurs ce pauvre Bon dans un rôle assez mineur face à ce qui semble plutôt un duo de tête, entre notre héros et la Brute. On ne saurait reprocher au réalisateur de vouloir mettre ce personnage plus en avant quand il offre la partition à son comparse Song Kang-Ho, qui une fois de plus surprend par la diversité de ses rôles et nous offre une prestation tonitruante. Et quand, en face, on retrouve Lee Byung-Hun, qui nous a subjugué dans A Bittersweet Life, et qui nous régale ici en psychopathe assoiffé de sang, on comprend le choix de tout centrer sur l’affrontement du duo.
Mais bien souvent, hors des affrontements au sommet où la caméra se rythme aux diverses détonations, c’est la grandiloquence qui prévaut. Peu de duels, tant tout le monde s’accorde à envoyer ses troupes et sbires pour mettre la main sur la précieuse carte. On ne sait jamais où donner de la tête tant toute personne à l’écran peut en vouloir à ce cher Cinglé, et la caméra joue constamment de tout ce qui peut faire irruption du hors-champ. Alors le cadre explose quand les poursuites s’accélèrent, certaines à cheval, d’autres motorisées, et que les affrontement ne se font pas les pieds au sol. La comparaison à Mad Max devient alors moins pertinente. Là où George Miller privilégie les plans larges, prenant le temps de se composer, pour nous montrer cet afflux de véhicules et de sources de danger, Kim Jee-Woon privilégie un montage bien plus nerveux, où l’objectif est toujours centré sur ses personnages, et où on ne se rend jamais compte de la taille de la joute, pour que tout nouvel arrivant dans le combat puisse nous surprendre. Évidemment, puisqu’il en est un fier représentant, Le Bon, La Brute, Le Cinglé puise sa source dans le western spaghetti. Et s’il se dénote particulièrement par sa personnalité bordélique et volontairement foutraque, il prend un malin plaisir à cocher ses cases pour montrer que le genre, à défaut d’avoir des codes bien prononcés, peut également se moderniser. Les discussions nuptiales entre deux antagonistes contraints de coopérer, les duels au sommet s’étirant jusqu’au possible pour jouer sur le suspense, la fameuse impasse mexicaine, les arrêts bruts sur les personnages pour les faire déborder de charisme, tout est là.
Kim Jee-Woon montre une fois encore qu’il est un réalisateur à double casquette. Capable d’offrir de grands moments esthétiques où le calme surprend, il est aussi un délirant astucieux, qui recèle d’idées à la seconde qui, si elles pourraient sembler indigestes au premier abord, parviennent à toutes tenir dans le cadre. Ça dégueule de partout, mais c’est jouissif au possible.
J’ai Rencontré Le Diable (2010)
On l’a déjà vu avec Kim Jee-Woon, notamment sur A Bittersweet Life, le cinéma coréen possède cette fascination pour le macabre, une manière décomplexée d’illustrer la violence. Après tout, cette dernière est une affaire du quotidien, et la minimiser est aussi une manière de lui refuser son horreur, de ne vouloir admettre qu’elle fait malheureusement partie du genre humain. Couplée au film de vengeance, elle atteint dans la péninsule des sommets. On pense immédiatement à la trilogie de la vengeance de Park Chan-Wook, au redoutable Chaser de Na Hong-Jin, des moments de cinéma intense, vers lesquels on se penche averti, et qui démontrent du talent de ces cinéastes pour apporter une mise en scène virtuose sur des sujets pourtant très difficiles à traiter. À ce jeu, Kim Jee-Woon fait office de maître, tant son J’ai Rencontré Le Diable est la quintessence du genre.
Retrouvailles avec Choi Min-Sik, que le cinéaste avait alors dirigé dans The Quiet Family, et continuité avec Lee Byung-Hun, pour un affrontement viscéral, graphique et sans pitié. Nous allons suivre Soo-Hyun (Lee), un policier dont l’épouse vient d’être sauvagement assassinée par Kyung-Chul, un psychopathe notoire (Choi). Utilisant les fichiers de la police pour le retrouver, il va mettre à mal une vengeance assez particulière, consistant à le kidnapper, le mutiler, puis le soigner et le laisser fuir pour recommencer, encore et encore. Un jeu du chat et de la souris débute alors, Kyung-Chul réalisant peu à peu les stratagèmes utilisés par Soo-Hyun pour le retrouver à chaque fois.
Viscéral, c’est le terme. Il y a d’ailleurs de nombreuses fois où les yeux sont détournés de l’écran, tant tout ce qui s’y passe est détaillé, ne laisse rien au hasard. Les meurtres, parfois mêlés de viols, suivis de tronçonnages des corps, sont montrés, sans aucune pudeur, tout comme les mutilations perpétrées par Soo-Hyun. Peu nombreuses, mais au final si marquantes, elles contribuent au caractère carnassier du métrage, qui nous emprisonne dans une spirale de violence, l’esprit souhaitant fuir mais le corps restant tétanisé sur place. Un membre qui se fracture ? Ce sont nos dents qui s’entrechoquent avec douleur. La déflagration est telle que malgré toute la haine que l’on ressent envers Kyung-Chul – impossible qu’il en soit autrement vu la manière dont il nous est dépeint -, nous en venons à ressentir de l’empathie pour lui, à ne plus vouloir le voir endurer son calvaire.

C’est là d’ailleurs le point fort de J’ai Rencontré Le Diable : quels que soient les actes qui ont généré la colère de Soo-hyun, son adversaire mérite-t-il le traitement qu’il lui inflige ? Grande différence avec un nombre conséquent de « vigilante movies » américains, qui prônent l’auto-défense comme une solution – il n’y a qu’à voir l’affreux remake du Justicier Dans La Ville par Eli Roth, pour se rendre compte de l’idiotie notoire de ce dernier -, nous ne pouvons rien cautionner de ce que Soo-Hyun fait. Au final, qui est le diable dans cette histoire ? Ce psychopathe avide de jeunes femmes, qui tue sans regrets pour assouvir ses pulsions, ou celui qui, par besoin de vengeance, va commettre des crimes pires encore en en étant totalement conscient ? Deux versants d’une même pièce, l’homme devenu bête quelles que soient ses raisons.
Toutes ces thématiques, et ce côté insoutenable, sont contenus dans un thriller haletant, où le rythme ne faillit pas une seule seconde. C’est peut-être aussi ça qui nous tétanise : le maintien d’un suspense constant, peuplé de rebondissements toujours audacieux, si bien qu’il est difficile de trouver le moindre défaut au film. Une plongée dans les abysses, les méandres de la psychologie humaine lorsque celle-ci atteint ses plus bas instincts. Et l’un des – si ce n’est le – films coréens les plus violents jamais tournés. Désormais reconnu à l’international plus que de raison, les sirènes hollywoodiennes résonnent et embarquent Kim Jee-Woon dans une nouvelle aventure, que nous vous conterons dans le prochain encart de cette rétrospective !
Le Bon, La Brute, Le Cinglé, de Kim Jee-Woon. Avec Song Kang-Oh, Lee Byung-Hun, Jung Woo-Sung… 2h08
Sorti le 17 décembre 2008
J’ai Rencontré Le Diable, de Kim Jee-Woon. Avec Choi Min-Sik, Lee Byung-Hun, Oh San-Ha… 2h22
Sorti le 6 juillet 2011