Parmi tous les formats d’image que le cinéma nous a offert, il y a les classiques (le 1.33 plus généralement nommé 4/3, le 16/9 pensé pour la télévision), les spectaculaires (le Cinémascope et le Cinérama et leur largeur d’image sans égale)… Mais rien ne pouvait nous préparer à un film entièrement diffusé en 1:1, le format classique des photographies publiées sur le réseau social Instagram. C’est pourtant le risque que prend Tahara, réalisé par Olivia Peace, véritable pari formel et premier long-métrage de la cinéaste. Tournant dans les festivals américains depuis janvier 2020, il aura fallu attendre, pour nous français, novembre 2022 et sa sélection au Festival International du Film d’Amiens afin de découvrir ce (pas si) long-métrage de 1h18.
Tahara met en scène Carrie et Hannah, meilleures amies amenées à participer à un groupe de parole réservé aux jeunes suite au suicide de l’une de leur camarade de l’école hébraïque. Vient se mêler aux funérailles et à ce “Teen Talk-back” une pléiade de sentiments entre des adolescents plus intéressés par leur crush et l’envie d’explorer leur sexualité plutôt que par le soporifique échange auquel ils sont conviés. S’inscrivant dans une progression de la représentation de la communauté LGBTQIA2S+ au cinéma, le film d’Olivia Peace fourmille de bonnes idées.
Revenons ainsi à son format. L’audacieux 1:1 mis en place n’a pas qu’un but esthétique et ne résulte aucunement d’un simple souhait d’excentricité voulu par la cinéaste américaine. Il est ici le reflet d’une génération qui, à l’ère de la prédominance de l’image digitalement renvoyée aux autres, est progressivement amenée à se soucier plus du paraître que du bien-être. Judicieusement, Olivia Peace utilise cette idée de fond à l’intérieur même du format mis en place en présentant ses personnages par l’apparition de leur nom au cœur d’un tag similaire à celui des identifications sur les photos Instagram. Développant la même idée, l’animation des likes apparaît lorsque les personnages double-clics sur leur téléphone.

Le film à également la bonne idée de ne pas s’arrêter à ce qui aurait pu s’apparenter à une futile critique de l’utilisation des réseaux sociaux par la génération X. Olivia Peace voit bien plus loin et veut nous offrir un film progressiste dans la représentation de la diversité des orientations sexuelles, mais également dans la manière dont les questionnements y étant liés sont amenés. D’une grande pudeur, Tahara se recentre plus sur les ressentis sentimentaux que sur les ressentis corporels des protagonistes. Cela crée de magnifiques séquences où les sentiments éprouvés, tout particulièrement par Carrie, sont transmis aux spectateurs par l’utilisation d’animations en stop-motion.
Sur la liste des bonnes décisions prises par Tahara, celle de ne pas feindre une fausse originalité s’avère remarquable. Les films, et plus récemment les séries, sur l’entrée dans l’âge adulte et toutes les questions qui s’en accompagnent sont nombreux. Olivia Peace assume le fait de faire partie de la vague et en profite pour référencer son film afin de l’inscrire dans un inconscient collectif. On y retrouve autant de Sex Education (2019- auj) que d’Euphoria (2019 – auj), le film empruntant tout autant au côté feel good de la série Netflix qu’à la profondeur de celle de HBO. De plus, en instaurant son histoire dans un contexte religieux, Tahara enferme ses personnages dans des mœurs plus strictes. Les adolescents n’ont qu’à très légèrement pousser le curseur afin de jouer avec les limites du moralement acceptable par leurs pairs.
Autant sur la forme que sur le fond, Tahara est un film qui ose. Nous ne pouvons aujourd’hui que déplorer le manque de visibilité qu’il est amené à avoir et ne pouvons que vous encourager à voir le film dès que celui-ci sera disponible. À l’image des réactions de tous les adolescents présents dans la salle durant cette diffusion en festival, nous ne pouvons qu’être convaincus que Tahara est une forme de réponse aux questions que tout adolescent des années 2020 peut se poser.
Tahara de Olivia Peace, écrit par Jess Zeidman. Avec Rachel Sennott, Madeline Grey DeFreece, Daniel taveras… 1h18