Vous connaissez la blague de la rédaction qui rate la plupart des meilleurs films du dernier Festival de Cannes ? Vous trouvez ce running gag long ? Et pourtant il n’est toujours pas terminé puisque The Souvenir partie 1 et partie 2 étaient présentés à la dernière Quinzaine des réalisateur·ices et ce n’est qu’aujourd’hui qu’on a pu le rattraper. Morale de l’histoire ? Demandez-nous ce qu’on a loupé à Cannes et vous saurez quels sont les meilleurs films à venir.
Nous sommes au début des années 80, Julie est une jeune femme pleine de vie qui a entamé des études en école de cinéma. Comme beaucoup de jeunes filles de son âge, elle se cherche encore et tombe par hasard sur Anthony, un mystérieux dandy charismatique plus âgé qu’elle. S’entame une relation passionnelle, première histoire d’amour de Julie, mais rapidement la manipulation et les secrets entachent cette relation idyllique. Ses proches ne sont pas dupes, voient que quelque chose cloche mais impossible pour Julie de se défaire de l’emprise d’Anthony qui l’enfonce dans une relation toxique. Ça, c’est ce qui se passe dans la première partie. Dans la seconde, qui est dans la continuité temporelle du précédent, Julie essaie de se relever et de se reconstruire après sa relation tumultueuse. Au même moment, elle doit préparer son film de fin d’études. Lui vient une idée, celle de dépeindre cette relation à l’écran afin de faire le deuil de cette personne qu’elle a tant aimé.

Il nous semble premièrement important de féliciter Condor Distribution qui a fait un travail exceptionnel avec ce diptyque et plus largement avec toute l’œuvre de Joanna Hogg dont les films nous étaient encore inconnus. Le 15 décembre dernier, la société de distribution a permis au court-métrage et aux trois précédents films de la réalisatrice d’être diffusés sur grand écran. Une nouvelle occasion de se plonger dans le travail fascinant de la cinéaste britannique de 61 ans. Dans The Souvenir, et avec un rythme excessivement lent, elle prend le temps de disposer les pièces de son jeu, tant il suffit de se laisser porter par ce personnage aussi doux qu’énergique. La première partie s’inscrit dans l’optique de la quête de soi, un sujet universel par lequel nous sommes tou·tes passé·es. Là où certain·es se découvrent à travers une passion, un métier ou un voyage, Julie se découvre dans la douleur, la peur mais aussi l’amour. Envers et contre tou·tes, Julie s’accroche à Anthony, faisant son possible pour le satisfaire et devenir la personne qu’il souhaite. Cette admiration sans bornes cependant la pousse cependant à trouver sa voie, ce qu’elle veut faire, ce qu’elle veut filmer, finissant même par dessiner les contours de la personne qu’elle souhaite être sans y parvenir.
Ce n’est que dans la seconde partie que Julie se dévoile. Désormais seule, elle fait face au monde. Ce film de fin d’études devient son salut, sa porte de sortie de cette relation mais aussi sa porte d’entrée vers un nouveau chapitre de sa vie. Malgré le sujet du diptyque, les deux parties sont assez distinctes dans leur approche et leur ton. La partie 1 se concentre exclusivement sur cette relation, imposant une ambiance oppressante autant pour Julie que pour les spectateur·ices. Toute trace romanesque disparaît pour un film parfois violent, dur et pourtant comme souvent, c’est après l’orage que vient l’arc-en-ciel. C’est à ce titre que la partie 2 est beaucoup plus passionnante et fascinante sur bien des points. La reconstruction de Julie se fait à travers le tournage de son film inspiré de son histoire avec Anthony allant même jusqu’à recréer les mêmes décors et les mêmes situations. Une mise en abime à plusieurs niveaux quand on sait en plus que Joanna Hogg s’est inspirée de sa propre vie et de ses débuts de cinéaste. La frontière entre fiction et réalité est floue jusqu’à en jouer dans son dernier acte qui prend de revers le/la spectateur·ice. Après tout, est-ce que la vie ne serait pas un grand film dont nous sommes tou·tes les acteeur·ices ? Ou est-ce le cinéma qui est la vie ? Celui qui permet de renaître, d’introspecter et de pardonner ?

The Souvenir est virtuose à bien des égards. L’intelligence de la mise en scène qui réussit à se démarquer d’une caméra d’abord fixe comme simple témoin dans la première partie avant de virevolter et d’être vivante dans sa seconde partie, comme si la caméra était une extension de Julie, l’image de la personne qu’elle est en train de devenir. Et parlons donc un peu de cette Julie, brillamment incarnée par Honor Swinton Byrne qui, comme son nom l’indique très bien, n’est autre que la fille de Tilda Swinton. Et loin d’elle l’idée de simplement profiter de la renommée mondiale de sa mère, elle a surtout hérité de son talent hors norme. Son premier rôle est éblouissant, incroyablement complexe et à fleur de peau. Sa silhouette s’impose dans le cadre avec une grâce presque indécente. Évidemment les rôles qui l’entourent sont tout aussi excellents que ce soit Tom Burke,Tilda Swinton… The Souvenir apparaît fascinant de sa première à sa dernière seconde.
The Souvenir est un film qui frôle la perfection. Un élan artistique et amoureux fou, grandiose, passionné et passionnant qui donne envie de le voir et le revoir pour mieux saisir l’ampleur du propos, admirer et aimer Julie un peu plus à chaque fois.
The Souvenir partie 1, The souvenir partie 2 de et par Joanna Hogg. Avec Honor Swinton Byrne, Tilda Swinton, Tom Burke… 1h59 et 1h48
Sortie le 2 février 2022