Le pouvoir de la narration a nourri nos êtres depuis la nuit des temps. Des civilisations se sont développées sur des histoires, des mythes que l’on continue parfois à se partager en les faisant évoluer par le passage du temps. Au final, on pourrait argumenter sur la portée du cinéma comme extension de ce besoin du récit dans notre construction individuelle et sociale. D’une certaine manière, c’est de cela que traite George Miller avec son dernier film, découvert en avant-première au BRIFF et sans aucun doute un des titres les plus incontournables de cette année par la foi que le metteur en scène porte en des valeurs importantes mais souvent sacrifiées sur l’autel de la « naïveté ».
Pour commencer, l’essentiel de son récit se joue par le biais d’histoires que se racontent deux personnages que tout oppose. D’un côté, Alithea, spécialiste en narratologie qui se laisse aller dans le monde par son statut imposé d’être solitaire. De l’autre, le Djinn qu’elle libère et qui lui propose d’exaucer trois de ses vœux. L’orientation tonale vers le conte est assumée, même verbalisée, tout en s’imposant un regard externe à cette structure. De là, les esprits craintifs pourraient avoir peur d’un nouvel exercice méta textuel qui use souvent de cette façade pour masquer une mécanique narrative tournant à vide. Pourtant, si le long-métrage assume de regarder sa place d’histoire par son principe même, il le fait en auscultant au mieux ses personnages et comment ces récits racontent aussi bien le monde que l’individu même.

Le cœur du long-métrage se repose sur la dualité entre nos deux personnages principaux, incarnés avec beaucoup d’amour par Tilda Swinton et Idris Elba. Embrasant la partie majoritairement théâtrale de l’intrigue, les deux acteur·ices trouvent une forme d’équilibre sentimental qui se perpétue. Ce sont tous deux des êtres brisé·es par les autres, perdu·es par leur amour et se refusant à revivre pareille perte. C’est en se confrontant à cette fragilité qu’ils trouvent leur salut, ce que tente d’ailleurs d’exhorter le long-métrage à son audience. Il est toujours question de croyance en l’autre, sans renier cette part de méfiance qui caractérise Alithea. Elle représente le pragmatisme du réel qui ne veut pas souffrir face au champ de possibilités de la fiction et ses promesses trop irréalistes pour qu’elles ne nous laissent pas meurtri·es.
Le rôle de l’histoire permet de mieux déchiffrer la personne en face de soi mais aussi de véhiculer ses propres doutes, ses interrogations intimes par rapport à divers sujets, notamment avec ce besoin constant de partager des récits ou tout simplement ses sentiments. En ce sens, on pourrait dire que George Miller participe à ce besoin de transmission par sa manière de mettre en scène le grandiose et l’intime, de mettre en parallèle constant la grandeur de ses épisodes et le personnel de ce qui s’y véhicule. Une nouvelle fois, le fait de placer son décorum principal dans une chambre d’hôtel permet de profiter d’une certaine théâtralité tout en poussant ses personnages dans leurs retranchements par la nature privée du lieu. La familiarité qui s’en dégage renforce le besoin de connexion, et ce jusqu’à une séquence en extérieur tout bonnement bouleversante dans ce qu’elle illustre de foi et de lâcher prise dans le sentiment amoureux.

Nous sommes convaincu·es de pouvoir parler encore et encore de ce film tant tout ce qu’il représente s’avère aussi bien une maîtrise de cinéma qu’une leçon de narration appliquée avec un ludisme aussi réjouissant que bouleversant. Néanmoins, comme toute bonne histoire, il faut savoir laisser les autres y faire face et se l’approprier pour mieux s’y révéler. Alors résumons-nous au plus simple : Trois mille ans à t’attendre constitue un film grandiose, proche du funambule par son équilibre narratif mais avec une proposition si galvanisante qu’elle en est indispensable. Allez dans votre cinéma découvrir ce film et laissez-vous emporter par ses histoires au cœur de son Histoire. Vous en ressortirez peut-être amoureux·se, heureux·se, intrigué·e ou perdu·e dans un monde différent mais avec l’envie de raconter des histoires sur vous, les autres, le monde et tout ce qui nécessite d’être aimé de tout son être.
Trois mille ans à t’attendre, réalisé et écrit par George Miller. Avec Tilda Swinton, Idris Elba, Aamito Lagum, … 1h48
Sorti le 24 août 2022